Histoire de la critique d’art
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Dense, érudit, cet ouvrage à la lecture aisée, passionnante conduit le lecteur, de l’Antiquité aux années 1950, à travers une analyse approfondie. Cette histoire est émaillée de références à des écrivains, poètes, philosophes qui ont été nombreux à transmettre jugement et réflexion sur l’art.
Depuis l’important essai paru à New-York en 1936, rédigé par Lionello Venturi auquel Gérard-Georges Lemaire rend hommage, aucune histoire complète de la critique n’a vu le jour, aussi accueille-t-on avec intérêt cette étude si complète. Dans son préambule, l’auteur souligne d’emblée que « la critique a peu à peu perdu son prestige et aussi sa marge d’action (après) s’être imposée comme un genre littéraire ».
La première partie de l’ouvrage qui en compte trois commence par une plongée aux sources gréco-latines. Chez les Grecs, Pausanias est sans doute l’un des premiers à s’intéresser aux tableaux (aujourd’hui disparus). Avec une certaine précision il évoque les œuvres mais sans analyse. C’est encore Lucien de Samosate qui loue l’exécution d’une peinture de Zeuxis et s’attache à sa signification. Pline l’Ancien, quant à lui, affirme que c’est à Rome que la peinture atteint sa plénitude ; s’agit-il d’une critique ? Pas exactement, plutôt de l’histoire de l’art de son époque mais il a tracé une voie qui sera reprise à la Renaissance par le célèbre Giorgio Vasari.
Au fil des chapitres est analysée l’évolution de la critique d’art en France à partir des précurseurs, André Félibien et Roger de Piles qui, au XVIIe siècle, en posent les fondements. L’auteur conduit ainsi le lecteur à travers les époques. Celui qui marque vraiment une avancée dès son premier compte-rendu du Salon de 1759 est évidemment Denis Diderot. La critique va peu à peu devenir avec lui un genre littéraire ; s’il affirme ses admirations, il n’hésite pas à formuler des critiques parfois acerbes. Il laisse en héritage la fusion entre écriture et peinture.
Puis l’auteur fait une incursion en Allemagne avec la figure de Gœthe pour qui la critique n’apparaît pas essentielle ; à l’inverse de Diderot, il dénie à l’art toute portée morale et son influence sur « l’amélioration du peuple ».
Gérard-Georges Lemaire s’intéresse au jugement des philosophes en France, pour les uns, l’imagination s’avère primordiale, pour d’autres il est le médiateur entre l’universel et le particulier. Il convoque aussi écrivains et poètes des XIXe et XXe siècles qui nombreux, ont écrit sur l’art en tant que « salonniers » ou dans leurs livres, tel Balzac qui sans avoir rédigé d’articles révèle dans ses romans un intérêt pour la peinture. Stendhal se fait critique lorsqu’il écrit « un tableau sans expression n’est qu’une image pour amuser les yeux un instant ». D’Eugène Delacroix à Odilon Redon, de Théophile Gauthier à Charles Baudelaire le lecteur découvre à travers texte et citations combien fut divers le regard de ces artistes, écrivains et poètes ; ils ont contribué à conférer une place importante à la critique. C’est encore Zola qui soutient Édouard Manet à ses débuts alors qu’il est peu connu ou Octave Mirbeau qui s’intéresse à Gauguin. Maupassant, Mallarmé, Huysmans, Proust mais aussi Signac, Vallotton et d’autres.
L’auteur aborde l’avant-garde au début du XXe siècle avec cette révolution qu’est le cubisme, né à Montmartre et qui dérange. Tous les écrivains de la Butte sont présents dans ces pages et en particulier Apollinaire ; est-il l’inventeur de la critique d’art moderne, s’interroge-t-il ?
Fort bien conduit ce texte se lit avec un vif intérêt et ménage le plaisir de la découverte dans une fine analyse. Historien, écrivain, critique d’art Gérard-Georges Lemaire est l’auteur d’une quarantaine d’essais sur l’art et la littérature.