J’arrête la plaisanterie

Publié le 12/08/2024

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été, consacré au faux en tout genre. Nous poursuivons l’histoire de la tiare, véritable sujet rocambolesque.

BGF

« Ce ne furent pourtant ni les dessins, ni les chansons qui tirèrent le Conservatoire du Louvre de son impassibilité. Le 23 mars – quatre jours à peine après la déclaration d’Elina – un journal du matin publiait une lettre de M. Lifschitz, bijoutier du quartier des Archives, qui déclarait avoir vu travailler sous ses yeux, à Odessa, le véritable auteur de la tiare, un graveur russe du nom de Rouchomowski. L’objet avait demandé huit mois de travail, de 1895 à 1896, et avait été payé 2 000 roubles. Une autre lettre, tout aussi précise, d’une dame russe ayant connu Rouchomowski à Odessa, confirmait la première, et représentait l’artiste comme digne du plus grand intérêt.

Ces faits nouveaux rouvraient l’ancienne polémique de 1896. M. Héron de Villefosse n’hésita pas. Il demanda au ministre de l’Instruction publique l’autorisation de retirer provisoirement la tiare des vitrines. Dès le lendemain, cette décision fut portée à la connaissance du public. On apprit ainsi que le savant conservateur des antiquités grecques et romaines avait conçu « des doutes graves » sur l’authenticité de la tiare. Le public en conclut que le Louvre avait été bel et bien dupé. Le véritable auteur était désormais révélé. L’artiste montmartrois ne s’entêta pas. Déjà fortement battu en brèche par ses contradictions incessantes, il comprit qu’il était temps de s’exécuter, et il le fit en des termes qui ne manquaient pas d’une certaine désinvolture : Tout ce que j’ai raconté sur la fabrication de la pièce était forgé… Maintenant que je considère mon but comme atteint, j’arrête la plaisanterie. J’aurai du moins eu le mérite de remettre sur le tapis la question de l’authenticité de la tiare et d’avoir attiré l’attention du public sur les fabriques clandestines d’objets truqués. Et satisfait d’avoir alimenté les revuistes de fin d’année en couplets inédits, M. Mayence, dit Elina, alla passer l’été à Dinard, où le Tout-Paris donnait son adresse « Villa de la Tiare. » Le nom du ciseleur russe, qui allait remplacer sur la scène de l’actualité le fantaisiste « homme à la tiare », avait déjà été prononcé dans les polémiques de savants à savants. Mais qui donc, à part leurs auteurs, songeait à lire ces mémoires archéologiques ou épigraphiques ? Israël Rouchomowski (en russe Uzpan et Pyxocuobchin) était alors aussi ignoré à Paris que Thomas and Co. » (À suivre)

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