La puissante ferveur du Requiem de Fauré
Alpha
L’agnostique Fauré a sans doute composé l’un des plus beaux Requiem de l’histoire. Un des plus originaux aussi. La gestation en fut longue. La première version de 1888 ne comportait que 5 mouvements. Celle pour grand orchestre, créée par Paul Taffanel lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900, sept. Abondant en modes antiques, son atmosphère est plus compatissante que religieuse. La présente exécution livre la version de 1893 qui confie l’orchestre aux seules cordes graves, altos et violoncelles par quatre, outre deux contrebasses, à quatre cors et à l’orgue. Une telle économie de moyens apporte à l’œuvre, déjà bouleversante, un supplément d’âme, une plus grande humilité. Il n’est que d’écouter les premières mesures, soutenues par l’orgue et une douce pédale de cordes graves, pour mesurer combien Fauré a voulu établir un climat particulier, d’une ferveur contenue, sans tristesse, au-delà du liturgique, et un langage de foi universel.
Ce que ménage l’interprétation d’Hervé Niquet par des tempos retenus, sans recherche d’accentuation excessive. La prestation instrumentale du Concert Spirituel est éloquente dans son approche faite de discrétion. Ainsi au Sanctus, le fin solo d’alto, à peine souligné, en lieu et place de celui des violons dans la version pour grand orchestre, apporte-t-il une touche presque irréelle à cette douce invocation. En tant que chef de chœur, Niquet s’attache à ne pas souligner les contrastes entre les diverses séquences, dans le dessein de créer une unité de ton, celui de l’apaisement, de cet « autre chose », recherché par Fauré, qui sorte du convenu de ce type d’office. Le chœur du Concert Spirituel enlumine plus d’une page, tel l’Offertoire où d’abord a cappella, il est relayé par les cordes graves. Plus tard, le « Hosanna » à plein chœur, avec ses quatre cors, sonne glorieusement. Et le séraphique « In paradisum », au son du délicat clapotis d’orgue, de la coulée des voix extatiques des sopranos et de l’infinitésimale ligne des cordes, transporte bien au-delà des mots et des notes. Pour ce qui est des solistes, les interventions du baryton, toute en délicatesse, fuient l’emphase. De son timbre clair, Philippe Estèphe apporte ferveur élégiaque à l’« Hostias », murmuré telle une prière, comme au « Libera me », aspiration à la délivrance. Choix d’un soprano lyrique, et non colorature, Emőke Baráth n’est pas sans rappeler la manière de Victoria de los Ángeles, dans l’enregistrement mémorable dirigé par André Cluytens (1963, EMI). Plus que purement angélique, la fabuleuse ligne éthérée du « Pie Jesu » trouve sa vraie veine contemplative.
Le CD est complété par une pièce rare, même si d’une toute autre nature. Car la Messe de Clovis que Gounod commence à écrire en 1891, et qui sera publiée posthume en 1896, est la dernière œuvre d’un corpus substantiel consacré à la musique religieuse, messes, oratorios, requiem. Elle est conçue pour orgue seul et chœur mixte. Elle respecte le graduel de la messe en ses six séquences qui sont jouées sans interruption. L’auteur de Faust y fait montre d’un style historicisant emprunté à Palestrina. Le dialogue du chœur avec l’orgue y compose une succession de moments puissants (début du Kyrie ou du Credo, crescendo final du Gloria) ou de climats empreints de douceur (Benedictus), sans parler de la rigueur du contrepoint (Agnus Dei). Là encore, les chœurs du Concert Spirituel font merveille de clarté.
Référence : AJU015w1