La tiare fabriquée à Montmartre

Publié le 29/07/2024

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été, consacré au faux en tout genre. Nous poursuivons l’histoire de la tiare, véritable sujet rocambolesque.

Tiare de Saïtapharnès, Wikimedia Commons

« Un incident inattendu vint remettre en question l’authenticité de la tiare et donner à l’affaire un retentissement considérable. Cette fois, les discussions dépassèrent l’aréopage des savants. La grande masse du public allait se passionner pour ou contre la tiare de Saïtapharnès.

Au mois de mars 1903, M. Boucard, juge d’instruction, recherchant les auteurs de dessins et aquarelles faussement attribués à Henri Pille, interrogea un artiste montmartrois, M. Mayence, dit Elina. Celui-ci repoussa énergiquement l’accusation dont il était l’objet, invoquant cette excellente raison que, n’ayant jamais été peintre ni dessinateur, il était parfaitement incapable de produire les œuvres contestées. En revanche, il fit une déclaration étrange sur les truquages dont aurait été victime le Louvre. Dans sa déposition, où la fantaisie Chat-Noiresque se mêlait à une précision troublante de détails, au milieu de racontars de concierges sur une fabrique de fausses momies installée à Montrouge, il se déclara l’auteur de la tiare d’Olbia.

« Vers 1888 ou 1889, dit-il en substance, existait, tout en haut de Montmartre, rue de Norvins, une fabrique d’objets d’art antiques, dont les directeurs, MM. Baron et Barré, sont aujourd’hui décédés. J’étais au nombre des artistes dont on utilisait les services. En l’année 1894, M. Spitzer, un des clients les plus importants de la maison, commanda une couronne dont il apporta le dessin. Je fus chargé du travail. La tiare fut faite d’une feuille d’or du poids de 458 grammes, payée 4 500 francs, et livrée au bout de quelques mois. Or, comme le sort réservé à cette tiare m’intriguait, je pris soin de marquer mon œuvre, en trois endroits, de points noirs indélébiles. D’ailleurs, j’ai pratiqué la soudure suivant les procédés modernes. On la retrouvera sans peine, elle est recouverte par un autel destiné au sacrifice. »

Le lendemain, toute la presse reproduisait cette stupéfiante révélation. Une catastrophe imprévue, un coup de grisou dans une mine, un naufrage, un tremblement de terre provoqueraient moins de retentissement. Oh ! ce n’était plus le temps des discussions courtoisement savantes ! Il ne s’agissait plus d’arguments empruntés à l’épigraphie, à l’histoire, à l’esthétique ! L’auteur du faux se dévoilait. Il s’offrait à en administrer la preuve ! Le public simpliste résumait la question en deux lignes : les conservateurs du Louvre ont payé 200 000 francs une antiquité fabriquée à Montmartre. » (À suivre)

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