La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt
Alpha Classics
Trop méconnu, Florent Schmitt (1870-1958) est pourtant une figure importante de la musique française de la première moitié du XXe siècle. Magistral orchestrateur, on en mesure les talents avec La Tragédie de Salomé, conçue en 1907 comme musique devant accompagner un mimodrame dansé écrit par Robert d’Humières. Sans doute en réaction à l’opéra Salomé de Richard Strauss, créé en France peu avant au Châtelet à Paris. Alors que la partition d’origine ne comportait qu’une vingtaine d’instruments, Schmitt en tirera une suite orchestrale plus fournie, donnée en 1912 et dédiée à Stravinski. Le présent enregistrement reprend la version originelle complète, assortie de sa riche orchestration. Le résultat est éblouissant tant cette grande fresque sonore scintille ici de tous ses feux.
L’argument du drame muet, exposé en sept tableaux, porte non sur la confrontation entre Salomé avec Jean-Baptiste, mais essentiellement sur la tentative de séduction d’Hérode par Salomé. À cette fin, Schmitt a conçu une succession d’épisodes chorégraphiques illustrant les diverses facettes de la personnalité de Salomé, dans une musique truffée d’exotisme et de sensualité, parée de thèmes récurrents. Après un Prélude mystérieux installant une atmosphère de luxure mais aussi de soupçon, le deuxième tableau introduit les différents protagonistes du drame : Jean-Baptiste, Hérode, Hérodias et Salomé, chacun campé à travers un instrument particulier. Les trois tableaux suivants décrivent la princesse, successivement insouciante et sémillante (« Danse des Perles »), hautaine et irrespectueuse (« Danse du Paon »), puis sensuelle et maléfique (« Danse des Serpents »). Le sixième tableau introduit la dimension symbolique du drame par l’évocation des crimes passés des époux royaux, lesquels se reflètent dans les eaux de la mer. Ce qui donne lieu, par contraste, à une séquence impressionniste (« Les enchantements sur la mer »), digne de Debussy et de La Mer. Intervient alors la « Danse de l’Acier » où la Princesse de Judée laisse apparaître froideur et cruauté. Le tableau final s’ouvre par une mélopée de style oriental (« Chant d’Aïça »), psalmodiée par une voix de femme dans le lointain, précédant les deux dernières danses : « Danse blanche », tragique et saccadée, figurant la décollation du prophète, sa tête étant projetée dans la mer par Salomé, puis l’ultime « Danse de l’Effroi », paroxysme de violence, où celle-ci, délirante, tourne sur elle-même avant l’inéluctable issue tragique. C’est peu dire que cette péroraison atteint le paroxysme de la frénésie, emplie de dissonances et de rythmes complexes.
À la tête de l’Orchestre Radio Symphonique de Francfort, Alain Altinoglu distille les sortilèges de cette opulente partition, magnifiant ses contrastes extrêmes, ses multiples nuances, de l’énergie primaire au lyrisme voluptueux. Rarement la musique de Schmitt aura sonné avec autant d’intensité, comme ses audaces harmoniques et rythmiques auront été si précisément mises en valeur. Et quel panel de couleurs somptueuses, portées jusqu’à l’exubérance d’une judicieuse orchestration. Avec cette magistrale exécution, le chef français se place dans le sillage de ses illustres prédécesseurs, Paray, Martinon ou Dervaux, qui naguère servirent cette partition combien évocatrice. Il en va de même du Chant élégiaque op. 24, donné en complément. Il s’agit de l’orchestration (1911) d’une pièce pour violoncelle et piano de 1903. Dans cette page de musique pure, Florent Schmitt se veut dans le droit-fil de la manière de son maître Fauré. Là déjà, la maîtrise orchestrale est souveraine, nimbée de mélancolie dans le traitement de la partie de violoncelle.
Référence : AJU014i1