L’Arétin, le Fléau des Princes

Publié le 02/09/2022

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Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps. BGF

« Il [Pierre l’Arétin, 1492-1556] ne connaissait pas Titien depuis trois mois, qu’il s’était déjà fait peindre par lui et lui persuadait d’envoyer en cadeau au marquis de Mantoue cette image du Fléau des Princes, avec un portrait de l’ambassadeur Adorno, récemment décédé, que le marquis avait beaucoup aimé. La lettre qui accompagnait l’envoi semble dictée par l’Arétin : « Excellent seigneur, disait Titien, je sais combien vous aimez la peinture, combien vous l’encouragez, comme on le sait par Jules Romain. Messire Pietro Aretino, ou plutôt saint Paul, lorsqu’il prêche vos vertus, étant venu ici, j’ai fait son portrait, et comme je sais que vous aimez un pareil serviteur pour tous ses mérites, je vous l’envoie ». Le marquis s’empressa de répondre le même jour à l’Arétin en le chargeant de remercier Titien et à Titien en le remerciant directement : « J’ai reçu les deux très beaux tableaux qu’il vous a plu de m’envoyer, et qui m’ont été vraiment très agréables… Je vous remercie donc infiniment… Quand je pourrai vous faire plaisir, je le ferai toujours volontiers, et je me tiens, dans tous vos besoins, tout à votre disposition ».

Ce n’était pas seulement des paroles aimables que l’Arétin demandait aux grands seigneurs : il attendait ou plutôt il exigeait des politesses palpables et bien sonnantes. Le marquis, qui le connaissait, lui fit remettre 50 écus et un pourpoint doré. Dans sa lettre de remerciements, le pamphlétaire, avec son impudence habituelle, réclama de suite pour son nouvel allié une gratification en alléchant le marquis par la perspective d’un autre cadeau : « Je vous rappellerai encore que vous pensiez à vos promesses faites à Titien, à propos de mon portrait que je vous ai fait donner. Je crois que Messire Jacopo Sansovino, rarissime sculpteur, vous ornera votre chambre d’une Vénus si vraie et si vivante qu’elle remplit de concupiscence la pensée de tous ceux qui la regardent… ». La réponse du marquis à cet honnête courtier fut froide et brève : « Je ne manquerai pas de donner sous peu à Titien quelque témoignage par lequel il pourra connaître en quelle estime je le tiens et combien il m’a fait plaisir » ». (À suivre)

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