Le Titien anobli

Publié le 26/07/2024

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Nous poursuivons cet été la description qu’il en fit de Titien et les princes de son temps.

Titien, Autoportrait, Gemäldegalerie, Berlin

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« Avec le droit exclusif de le représenter, Charles Quint conféra au Titien, toute une série de titres et de privilèges :

 Parmi ces privilèges se trouvent, entre autres, “le droit, la liberté, la faculté, valables dans tout l’empire romain et dans le monde entier, d’instituer et de créer des notaires, chanceliers et juges ordinaires…” et, en outre, “le pouvoir de légitimer les fils naturels, bâtards, incestueux, nés de concubinat indigne, et tous autres mâles, de quelque rang que soient les femmes, même s’ils sont nés de nobles, d’une union illicite et condamnée, que leurs pères soient vivants ou morts, à la seule exception des fils de princes, comtes et barons”. Le diplôme se terminait par l’octroi de la noblesse à tous les enfants légitimes de Titien, nés ou à naître, ainsi qu’à leurs descendants à perpétuité. Quant à lui, il entrait dans l’ordre de la chevalerie d’or, et devait, à partir de ce jour, porter comme insignes de sa dignité, “l’épée, le collier, les éperons et l’habit d’or”.

Bien que les peintres, plus que les autres artistes, soient restés dans les siècles suivants les enfants gâtés des souverains, comme ils le sont aujourd’hui du public, il faut pourtant reconnaître qu’aucun d’eux, même Rubens, n’en reçut de prérogatives si exorbitantes. Titien, bourgeois pacifique, usa rarement sans doute, dans Venise, sa bonne ville, de son droit de marcher l’épée au poing, quoiqu’à partir de cette époque la plupart de ses portraits le représentent portant son collier d’or ; mais nous savons, par pièces authentiques, qu’il usa plusieurs fois de ses prérogatives judiciaires. Dans les dernières années de sa vie, le 1er octobre 1563, il créa encore à Pieve di Cadore une charge de notaire pour un de ses parents, Fausto Vecellio, et, le 18 septembre 1568, légitima deux fils qu’un curé de son pays, le révérend Pietro Costantini, avait eus d’une certaine Maria Perini, “payée par lui”.

C’est à ce moment même que Titien recevait, comme l’Arétin, des avances de la France. Venise, ville libre et gardant, autant qu’elle le pouvait, la neutralité entre Charles-Quint et François Iᵉʳ, était le foyer de toutes les intrigues diplomatiques. »

(À suivre)

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