Le triple regard de Cocteau
Est-ce Aragon qui a qualifié Jean Cocteau de « poète orchestre ? » Il est vrai que celui-ci (1889-1963) a autant enchanté la littérature sous toutes ses formes que les arts plastiques, sans oublier le cinéma et la photographie. Lorsqu’il parlait avec cette voix nasillarde laissant tomber les derniers mots de ses phrases, il faisait songer à un magicien. Ses mains aux doigts longs s’agitaient dans un ballet incessant, laissant croire qu’il dessinait, dans l’espace. Il confia un jour qu’il considérait « l’art comme un sacerdoce. » Cela nous fait songer à la réflexion d’André Fraigneau, l’un de ses amis, qui disait : « Lorsque j’entends un artiste évoquer son travail, je hausse les épaules ». Jean Cocteau ne s’arrêtait jamais, sa puissance créatrice est restée inégalée. À propos de sa manière de dessiner, « un autre emploi de l’écriture », il affirmait qu’elle ressemblait beaucoup à l’improvisation du jazz, avec des lignes comme Charlie Parker avec son saxophone. On recense plus de 20 000 œuvres originales, sans compter les multiples. Parmi elles, les céramiques.
L’une des plus célèbres, Les Trois-Yeux, un plat creux et circulaire en terre rouge, crayons d’oxyde (noir, blanc et chair) émaux (bleu, vert, rouge et noir), daté de 1958, a été adjugé 5 000 €, à Drouot, le 11 octobre 2024 par la maison Morand & Morand, Diane Chapel étant au marteau. Cette pièce est signée à l’avers et marquée au revers « Édition originale de Jean Cocteau Atelier Madeline-Jolly », justifié 17/50. Elle provient de la collection d’une ancienne galeriste qui a dirigé entre 1977 et 1981 « l’Institut d’Orphée ».
C’est à l’instigation de Pablo Picasso que Jean Cocteau visita en 1953 l’atelier Madoura à Vallauris. Le peintre y créait depuis 1946, des céramiques avec Suzanne et Georges Ramié. Séduit par cette manière, Cocteau se prit au jeu et prêta sa main à son ami pour la décoration d’une série d’assiettes. Il s’y essaya et en réalisa une lui-même. Pourtant il ne poursuivit pas l’expérience, de crainte de devoir rester dans l’ombre du maître qui avait entrepris de dominer la céramique comme il dominait la peinture : « J’ai longtemps considéré la poterie comme le terrain de chasse de Picasso, sur lequel il serait dangereux de s’aventurer, » devait-il dire. Mais quelques années plus tard, le poète découvrit dans la boutique jouxtant sa chapelle de Villefranche-Sur-Mer quelques poteries d’art réalisées par un couple de céramistes locaux, Philippe Madeline et Marie-Madeleine Jolly. Intrigué, il leur fournit plusieurs dessins, qu’ils s’empressèrent d’exécuter sous forme d’assiettes en guise de démonstration de leur savoir-faire : ce fut le début d’une collaboration féconde qui durera jusqu’à sa mort en 1963. On compte environ 350 céramiques signées par Cocteau, parmi lesquelles des « poèmes-objets ». Comme par exemple l’Arlequin à la batte, objet à poser en terre rose, engobe blanc et émail noir, la batte en bois noir, tiré à 20 exemplaires, adjugé 11 000 €, par Drouot Estimations, le 4 décembre 2015.
Référence : AJU015v4
