MAC VAL : les faits divers ne font pas diversion

Publié le 31/12/2024

Le Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne a ouvert les portes d’une exposition extraordinaire autour de la fascination qu’exercent toujours les faits divers sur les citoyens : « Faits divers, une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse ». Rencontre privilégiée avec Julien Blanpied, coordinateur général de l’exposition.

Mac Val

Chiens écrasés, enlèvements, meurtres, kidnapping, viols en série, depuis bien longtemps ces faits divers, « frères bâtard de l’information » (pour citer le sémiologue Roland Barthes), captent l’attention des quidams, quels que soient leurs genres ou leurs origines sociales. « Les faits divers font diversion », disait Pierre Bourdieu pour expliquer cette fascination/répulsion qui fait vendre des milliers de Nouveau Détective chaque semaine, qui font ralentir les voitures sur l’autoroute quand un accident saigne la chaussée. Normal donc que cette fascination esthétique se retrouve dans les couloirs des musées, comme ce fut le cas pour « Crime et Châtiment », au musée d’Orsay en 2010 et au Louvre en 2001 avec « La Peinture comme crime ou la part maudite de la modernité ».

Avec « Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse », les commissaires d’exposition Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL, et Vincent Lavoie, historien de l’art et professeur titulaire à l’Université du Québec à Montréal, entendent apporter un complément à l’ouvrage fondateur de Roland Barthes, Structure du fait divers (1964), en rassemblant les œuvres de 80 artistes de tous horizons autour d’une scénographie innovante. Entre autres signatures, les visiteurs pourront profiter des œuvres de Christian Boltanski, Mohamed Bourouissa, Sophie Calle, Eric Pougeau, Grégory Chatonsky, Daniel Pommereulle ou encore La Brodeuse Masquée, cette fait-diversière devenue artiste de borderie. Dessins, vidéos, sculpture, photos, installations, peintures, photo montage… la variété des œuvres est aussi époustouflante que l’installation. Une belle façon de célébrer les 20 ans de l’institution culturelle, à voir jusqu’au 13 avril 2025.

Une approche en forme de point d’interrogation

Fier habitant de Vitry, Nicolas Surlapierre a pris la direction du MAC VAL, qu’il considère comme l’un des plus beaux musées de France, il y a deux ans. Dans ses cartons, déjà, un projet mûri depuis plusieurs années autour de l’attirance/répulsion des gens face au fait divers, au cold case en particulier. Mais le principe de l’exposition est d’aller bien au-delà du point de vue théorique, avec un dispositif abécédaire, organisé en cinq chapitres que nous détaille Julien Blanpied. « Au nom de la loi (avec les lettres E pour enquête judiciaire, I pour indice, R pour reconstitution et T pour témoins), Scénario catastrophe, Faire violence (avec violence, assassinat, outrage et féminicide ?), puis Ouvrir l’œil qui explore la question de la pulsion scopique avec Y pour yeux, M pour médias et Z pour zoom et enfin l’Ombre d’un doute avec le doute, le X (de plainte contre X), le Q de quoi et le G de gag (pourquoi l’insolite est souvent attaché au fait divers). Le but n’est pas de créer un parcours Ikea, mais de laisser les spectateurs être guidés par la pulsion scopique, par son imaginaire qui fabrique un parcours individuel ».

À chaque étape du parcours, où les œuvres de commande ou d’emprunt explorent sans morbidité aucune la complexité des faits divers, une pièce à conviction d’une affaire très médiatisée est mise en exergue. Le but ? Déplacer le regard du visiteur de sa fascination à la réalité brute. « On a les recettes et dépenses de Landru, prêté par le musée de la Préfecture de Police, qui est tout à fait révélateur, on a une robe empruntée à la médiathèque qui a servi pendant le tournage de Titanic de Jean Negulesco (1953), le moulage de la main de l’assassin Jean-Baptiste Troppmann dont le procès avait rassemblé 25 000 spectateurs, l’œilleton de l’infâme docteur Petiot et une petite reproduction de la malle dans laquelle avait été transporté le corps d’un huissier, Gouffé, qui étaient vendues à la sortie du procès de cette affaire sordide de 1889. »

« Nous avons commandé un abécédaire à la Bordeuse Masquée, l’artiste Xavier Boussiron a sculpté le bénitier de l’impensable en reproduisant les mains du Petit Grégory… mais la plupart des œuvres ont été empruntées à Pompidou, aux Frac », nous explique Julien Blanpied, très satisfait de ce feuilletage réussi, entre les œuvres, du parcours, et de ce qui se déroule à l’intérieur des spectateurs. « Au départ, dans l’intitulé même de l’exposition, nous évoquons l’équation, le principe de l’inconnu. Le fait divers c’est tout l’art du storytelling : comment le journaliste raconte une belle histoire à partir d’un chien écrasé. C’est d’abord une histoire, avant un fait. Et puis le fait divers, nous n’oublions pas Bourdieu, est aussi un outil pour manipuler l’opinion… En 2002, le traitement médiatique d’une agression contre un retraité, Papy Voise, avait permis à Jean-Marie Le Pen et sa campagne sécuritaire d’atteindre le second tour ».

Un impact

Un briquet, une rallonge, un sac plastique, un robinet, un baffle, du fil de cuisine, un cutter, un coussin, un fer à repasser, un tournevis, une casserole, une ceinture de peignoir… des objets anodins sur fond banc avec pour seules légendes des prénoms féminins, des âges, des dates. Marcelle, 90 ans, tuée par son mari à coups de casserole en 2017. Thalie, 36 ans, tuée par son conjoint à coups de robinet neuf non monté. Une série de photos Preuves d’amour, qui racontent la violence glaçante et quotidienne des féminicides conjugaux et qui figure au chapitre « Faire Violence ». Derrière l’appareil, Camille Gharbi, 40 ans, qui a eu une révélation le jour de Noël 2017, en feuilletant un Paris-Match chez sa mère : « l’article évoquait l’assassinat d’une jeune femme de 30 ans par son compagnon. La mention du détail de l’arme du crime, un cutter, m’a fait basculer quelque part. J’ai vu la scène et cela m’a percutée. Je me suis dit qu’isoler l’arme du reste était un axe formidable pour toucher les personnes sur le féminicide ». Une initiative impactante qui a reçu le prix FIDAL en 2018 et qui a donné à la photographe l’idée de travailler sur une nouvelle série, Intimes Convictions, projet finaliste du prestigieux Prix Élysée, et qui raconte la soumission chimique en exposant cliniquement les substances choisies (et leurs effets) par les agresseurs pour droguer leurs victimes. « Pour preuves d’amour, j’ai travaillé sur 253 cas de meurtres, où dans la majeure partie des cas les tueurs sont des gens normaux. Je voulais déconstruire la figure du monstre. Il faut bosser avec les auteurs, savoir ce qui se joue, quelles histoires particulières mènent à une histoire collective », nous explique-t-elle.

Un impact qui est l’un des objectifs des créateurs de l’exposition. « Dans le cas de deux lettres, nous avons mis un point d’interrogation : quoi ? (qui définit le principe du fait divers) et féminicide pour pointer le fait que le traitement du féminicide comme fait divers est très problématique. Julien Blanpied n’a pas peur de le dire : l’exposition est politique : « Ranger dans cette catégorie les féminicides, et ce depuis si longtemps, nous a empêchés collectivement de voir le côté systémique qui nous explose désormais au visage grâce à des collectifs de colleuses par exemple : les féminicides sont des faits de sociétés, pas des faits divers et il était important pour nous de le signifier et d’utiliser cette exposition pour le faire. »

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