Mon courrier en porcelaine
Thierry de Maigret
Il n’est pas banal de recevoir une lettre sous forme de boîte en porcelaine. Nous avons bien découvert, il y a quelques années, un carton d’invitation inséré dans un petit plateau. Celui-là n’avait pas le même usage que la « lettre ». Il s’agit en réalité d’une boîte à priser en trompe-l’œil, imitant une enveloppe. Celle-ci est adressée « A Monsieur de Sanssouci / Chevalier de belle humeur dans la rüe des / bons enfans a l’enseigne des charmes / à / Paris. » Deux lettres « r/z » sont barrées en rouge, comme pour une correction, et le revers de l’enveloppe ou de la boîte imite un cachet en cire rouge avec un monogramme CLG ainsi qu’une inscription en noir. Cette boîte en porcelaine, probablement de Meissen, à monture en or, possède un fermoir en argent et est ornée d’un cabochon émeraude épaulé de quatre roses couronnées. Cet objet XVIIIe siècle a plus que doublé son estimation et a été adjugé 14 950 €, à Drouot, le 17 mai 2024 par la maison Thierry de Maigret.
Pas question de déchirer l’enveloppe, on l’ouvre et l’on découvre à l’intérieur du couvercle un décor polychrome d’une scène galante inspirée d’une toile de François Boucher, Le Pasteur galant. Celle-ci a été peinte en 1738 pour la salle d’audience du prince de Rohan, à l’hôtel de Soubise à Paris ; elle sera ensuite gravée par André Laurent en 1742. Cette scène, vite célèbre, a été reprise plusieurs fois, notamment à la manufacture de Sèvres par Charles-Nicolas Dodin sur différentes pièces. « Ces boîtes étaient certainement des cadeaux offerts comme souvenirs galants utilisant l’écriture de la personne qui les offrait, comprenant probablement à l’intérieur une lettre véritable, décuplant ainsi son message ; puis, finalement utilisées pour conserver du tabac ou tout autre élément personnel », explique l’expert de la vente. La manufacture de Meissen a certainement eu la plus grande production de boîtes en porcelaine en Europe au XVIIIe siècle ; une liste de modèles tenue par la manufacture en 1765, mentionne onze modèles différents, les plus ordinaires étant décorés de fleurs. La manufacture de Meissen, dont les pièces sont reconnaissables à sa signature représentant deux épées entrecroisées, était spécialisée dans les trompe-l’œil. Une cafetière de Meissen, datée de 1729, présente par exemple sur l’une de ses faces, une lettre au bord replié sur lequel figure un cachet de cire rouge.
Nous restons sur notre curiosité ; la lettre sur la cafetière est illisible, celle contenue dans la boîte a disparu. Il nous reste à en imaginer le contenu. Son premier propriétaire, Joseph 1er, baron Duveen (1869-1939) ne nous en a rien dit. La deuxième, Violet Trefusis (1894-1972) a peut-être glissé, à l’intérieur, l’une de ses Lettres à Vita [Sackville-West] dont elle fut l’amante et que l’on peut lire (aux éd. Stock, 1991). Violet Trefusis légua cet objet à Philippe Julian (1919-1977). En aurait-il inséré l’image dans son scrapbook, Lorsque Maisie dansait, réédité par Salvy en 1990 ?
Référence : AJU013t1