Narcisse n’est pas égoïste

Publié le 17/09/2019

Flammarion

Le mythe de Narcisse nous est montré dans des représentations picturales (celles de Poussin ou de Caravage, par exemple) et raconté dans divers récits depuis l’Antiquité. Le récit le plus connu est celui d’un jeune chasseur béotien qui, en contemplant son image dans une source, s’en éprit si intensément qu’il sombra au fond de l’eau en voulant atteindre le visage qu’il voyait. La version de Pausanias dit que Narcisse avait une sœur jumelle. Elle lui ressemblait d’une façon étonnante, avait la même chevelure et portait toujours les mêmes vêtements que lui. Narcisse en devint amoureux. Quand elle mourut, Narcisse alla vers la source près de laquelle sa sœur était morte. Découvrant sa propre image à la surface de l’eau, il crut retrouver le visage de celle qu’il aimait. Narcisse fut honoré comme Héros silencieux près du sanctuaire d’Amphiaraos.

Une personne qui se contemple, s’admire, aime son image, est considérée comme narcissique. C’est la version modèle d’un adolescent qui, incapable d’échapper à son état « androgyne », ne parvient pas à reconnaître l’autre dans sa relation amoureuse. Pour Plotin, Narcisse symbolise la séduction exercée par les simulacres des sens sur l’âme.

Mais voilà, avec le livre de Fabrice Midal, qui est une analyse étonnante voire déconcertante, l’auteur revisite avec moult références la notion du narcissisme en disant : « Devenez narcissique ! ». Nous nous serions trompés, au cours des siècles, sur l’analyse de ce mythe et la figure de ce jeune homme qui tomba, nous dit-on, amoureux de son image reflétée dans l’eau d’une source.

Cette enquête passionnante nous entraîne à repenser et à réécrire ce mythe, avec pour références des auteurs, des peintres et des poètes : de Sophocle à Ovide et à Barthes, de Caravage à Poussin et à Rembrandt, de Mallarmé à Rilke et à Valéry. Ce que dit ce mythe, selon Fabrice Midal, est tout autre chose. Il écrit : « Narcisse est l’âme qui ne se connaît pas, c’est-à-dire qui ignore sa véritable nature. Combien de gens, comme lui, ne savent pas qui ils sont. C’est pourquoi Plotin et Ficin nous rappellent que l’important est de se porter attention » ; et il nous dit que : « Être narcissique ne consiste pas seulement à se rencontrer mais aussi à nous façonner, à nous transformer, à travailler sur nous-mêmes ».

Fabrice Midal montre également combien aujourd’hui, où notre époque se trouve dans une négation de l’humanité, dans une normalisation avec les médias et les nouvelles technologies qui nous instrumentalisent, les diktats de modes de vie que l’on nous impose et le fanatisme idéologique, Narcisse est le mythe qui peut nous donner des clés pour nous ouvrir la porte ou nous mettre sur le chemin d’une libération intérieure.

Fabrice Midal dit encore : « Narcisse est certainement le mythe dont le XXIe siècle a besoin ». Car d’après l’auteur, et suivant son analyse, l’homme a besoin de se rencontrer, de se regarder. Se rencontrer pour se comprendre ; se regarder non pour être obsédé par son image, mais pour reconnaître qui nous sommes réellement.

LPA 17 Sep. 2019, n° 147s0, p.16

Référence : LPA 17 Sep. 2019, n° 147s0, p.16

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