Pages méconnues de Charles Gounod
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La carrière de l’auteur de Faust et de Mireille ne s’est pas cantonnée à l’opéra. Outre deux symphonies et des partitions de musique religieuse, on lui doit encore cinq quatuors à cordes et des mélodies. Le corpus relativement important de ces dernières, qui dépasse les 150 numéros, s’avère le terrain privilégié du talent d’un musicien qui se plie volontiers à l’intimisme de ce répertoire. Les 24 mélodies ici réunies, dont la composition s’étend de 1839 à 1884, offrent un panorama représentatif de cet ensemble. Que caractérisent l’abondance mélodique et un charme certain dans le contour de la phrase comme la saveur des harmonies, jusqu’à la volupté vocale, quoique contenue dans le murmure et la caresse des mots. C’est que Gounod choisit soigneusement ses poètes : Gautier, Hugo, Musset, Dumas fils, voire Ronsard ou de Baïf, pour ne citer que les plus célèbres. La musique simple et directe est d’abord au service du texte, respectant l’articulation et l’inflexion naturelle des vers. C’est le relief des mots et la magie de leur sonorité que saisit d’instinct le musicien dans cet univers intérieur propice à la confidence. Ainsi de ses mélodies sur des poèmes de Théophile Gautier. Première pièce à être publiée, en 1839, Où voulez-vous aller ? délivre une douce ironie de la séduction avec son refrain entraînant. Toute la poétique hugolienne est saisie dans Aubade et ses fines broderies vocales, ou dans Sérénade (1850) empruntée à Marie Tudor, exprimant une langueur indolente sur un joli balancement pianistique. Venise, sur un poème de Musset, est un curieux hymne à la Sérénissime par une succession d’images fugitives que renforce l’ambiguïté tonale de l’écriture pianistique. Plus d’un tiers de la production de Gounod mélodiste est en langue anglaise. Fruit d’un séjour de trois ans à Londres, au début des années 1870, et de ses amours malheureux avec la chanteuse Georgina Weldon. Il emprunte aussi bien à Byron qu’à Shelley. Toutes ces pièces requièrent une extrême flexibilité de la diction, un art de la prononciation comme un sens du rythme qui souvent côtoie le débit de la parole.
Familier du répertoire français, Tassis Christoyannis est ici chez lui. On admire la profonde musicalité, la justesse de l’expression, la manière sûre d’investir le texte. Outre la beauté du timbre de baryton clair aux moirures mordorées, l’élocution conserve toujours un parfait naturel. Il trouve en Jeff Cohen plus qu’un partenaire attentif, un complice de tous les instants qui fait sonner claire et concise une ligne pianistique enveloppante.
Les cinq quatuors à cordes de Gounod demeureront, pour la plupart, longtemps dans l’oubli jusqu’à ce qu’à la faveur d’une vente publique en 1993, soit révélée l’existence de trois d’entre eux. La chronologie en reste hypothétique comme la date de leur composition. Ils viennent en tout cas tard dans la production de Gounod. Le premier a avoir bénéficié d’une exécution publique, en 1885, est le Quatuor en ut majeur, Petit Quatuor. La composition en remonterait cependant au milieu des années 1870. Avec ce premier essai, on découvre ce qui caractérise la manière de la musique instrumentale de Gounod : une écriture aisée, proche de l’expérimentation et de l’épure plus que destinée à séduire l’auditeur. Le Deuxième Quatuor en la majeur, qui aurait été créé en 1887, montre aussi cette abondance mélodique si chère à Gounod, qui en établit d’emblée le charme, même si pas aussi immédiat que l’est un air d’opéra du maître. Le Quatuor n° 3 en fa majeur, de 1889, composé de cinq mouvements, se signale par la tension émanant des deux premiers qu’adoucit un andante introverti dans son chant serein. Le second scherzo affirme comme un lointain écho de quelque valse de la kermesse de Faust. Le Quatrième Quatuor en la mineur, de 1890, est le plus abouti de la série. Il s’ouvre par un allegro résolu avec une intéressante opposition entre traits déclamatoires et pages plus calmes. Suit un allegretto joué en sourdine, doucement triste, sur des pizzicatos du violoncelle, le thème central revenant en boucle tel un refrain : de fugaces éclaircies de bonheur dans un univers tourmenté. Le scherzo est une sorte de valse d’esprit méphistophélique entrecoupée d’un trio rustique. Et le finale est avenant. Enfin, le Quatuor en sol mineur, des années 1891/1892, paraît s’approcher de l’abstraction, désormais éloigné de la veine mélodique d’antan. Comme dans l’« allegro ma non trompo ma energico » qui la relègue aux oubliettes au profit d’une démarche volontariste. Le Quatuor Cambini-Paris donne de ces pièces des exécutions d’une remarquable tenue et d’une grande rigueur technique. La sonorité des instruments d’époque apporte un indéniable plus. Les musiciens jouent en effet quatre instruments historiques italiens du XIXe siècle, donc contemporains de l’écriture des quatuors de Gounod.