Le Faust de Gounod redécouvert
Christophe Rousset
Ignacio Barrios
On croyait tout connaître du Faust de Charles Gounod, type même du grand opéra français ! On sait moins que sa popularité, l’œuvre la doit à moult modifications opérées par le compositeur lui-même pour être joué sur la scène de l’Opéra de Paris. Et voici qu’à l’instigation du Palazzetto Bru Zane, est présentée la version d’origine de l’opéra telle que créée en 1859. Une version tout autre que celle habituellement donnée, qui diffère par ses passages parlés, ses numéros inédits et une facture d’ensemble en transformant l’esprit. Au point qu’on redécouvre une œuvre attachante, largement dépourvue de la grandiloquence, voire du pompiérisme dont on l’a si souvent affublée. Car bien des aspects qui ont contribué à la gloire facile de cet opéra, mais qui peuvent paradoxalement passer pour des faiblesses, se trouvent gommés dans ce schéma premier. Les trois ressorts dramatiques, la relation amoureuse entre Faust et Marguerite, la donnée religieuse et enfin l’aspect fantastique, y apparaissent plus resserrés. À la faveur d’une forme mixte entre opéra et opéra comique. À ce dernier genre appartient la présence de dialogues parlés. Mais le recours au mélodrame – ou passages récités sur un fond musical – contribue aussi à déplacer l’impact, notamment pour ce qui est du personnage de Méphisto dont la composante comique et ironique se substitue à celle sarcastique et maléfique habituelle. Le personnage de Siebel retrouve un statut plus envieux que celui convenu d’amoureux échevelé. Ainsi de la scène avec Marguerite au IIIe acte, introduite par un mélodrame illustrant l’attachement du jeune homme, et qui se conclut par une romance douce-amère. Plusieurs numéros musicaux montrent aussi des couleurs insoupçonnées. Ainsi de l’air de Méphisto, dit du « Veau d’or », qui est ici avantageusement remplacé par la « Chanson de Maître Scarabée », moins clinquante. Le personnage de Valentin perd sa grandiloquence au profit de l’émotion : son air de retour du combat, avec les répliques des soldats, est l’expression d’un réel panache. Et l’on ne regrettera pas de le voir remplacer le fameux chœur « Gloire de nos aïeux ». D’autres morceaux demeurés inconnus sont enfin révélés, comme le duo de la séparation entre Valentin et Marguerite, d’une belle spontanéité et d’un charme musical aux accents vrais.
La présente exécution renouvelle, pour le moins, la perception qu’on a du chef d’œuvre de Gounod, soucieuse d’une vraie cohérence dramaturgique. Dès l’Ouverture sombre et lente, on sent le poids de la gravité des enjeux. Mais ce n’est pas là la seule vertu de la direction de Christophe Rousset. L’acuité de l’accompagnement des chanteurs n’a d’égale que les généreux contrastes qu’apportent les passages purement symphoniques, comme la valse allègre de la scène de la kermesse ou le prélude de l’acte final, d’une noirceur angoissante. Les musiciens de Talens Lyriques distillent des couleurs somptueuses, aux cordes en particulier, et des vents aux sonorités plus âpres. Il est certain que la palette que permet un orchestre jouant sur instruments anciens éclaire d’un jour tout à fait nouveau ces pages souvent engluées dans une tradition romantique emphatique. D’une formidable cohérence, la distribution est pur régal. Le rôle titre trouve en Benjamin Bernheim un interprète idéal. Outre un timbre d’une rare séduction sur tout le registre, et qui n’est pas sans rappeler le jeune Roberto Alagna, le ténor force l’admiration par la pureté de la ligne de chant d’une étonnante flexibilité, en particulier lorsqu’il chante en voix de tête. L’air « Salut, demeure chaste et pure » installe d’emblée une présence radieuse que le solo du premier violon complète d’une infinie poésie. Partout, ses interventions grandissent le personnage. Une vision irrésistible. Comme l’est la Marguerite de Véronique Gens. La diction de cette magnifique artiste fait merveille, sans fard, comme dans l’air dit des bijoux qui n’a rien de mièvre. Ou encore dans les stances « Il ne revient pas », d’une mélancolie poignante. Tout contribue à une incarnation là aussi d’une grande justesse de ton. S’il surprend de prime abord par un timbre plus près du baryton que de la basse profonde, le Méphisto d’Andrew Foster-Williams possède bien des atouts. Un vrai chic britannique ajoute un clin d’œil coquin au personnage, finement moqueur et non démoniaque. Jean-Sébastien Bou prête à Valentin des accents non feints d’amour fraternel et un chant glorieux. Bien joli soprano que celui de Juliette Mars en Siebel. Des chœurs de la Radio flamande, on admire la fine diction et un engagement qui ne se dément pas de bout en bout de la soirée. Dont il n’est pas exagéré de dire qu’elle aura été la révélation de l’Urtext trop longtemps ignoré d’une œuvre si populaire. Un événement !