Par-delà l’attente

Publié le 15/12/2022

JC Lattès

Julia Minkowski est avocate, pénaliste. Elle défend des individus, coupables ou non… Mais là n’est pas la question !

A-t-elle souffert de trouver si peu de role model dans sa carrière pour vouloir aujourd’hui mettre en lumière une des grandes figures du barreau français (voir notamment son interview pour Actu-Juridique sur le sujet : https://www.actu-juridique.fr/professions/les-femmes-penalistes-manquent-de-modeles/), ou cherche-t-elle à se livrer sur ce que peut ressentir une femme quand elle défend des causes perdues ? Telle est la question que l’on peut se poser à la lecture de son premier roman : Par-delà l’attente, publié aux Éditions JC Lattès.

Ce premier roman retrace les moments d’introspection, à l’issue d’un procès, que peut connaître tout avocat pénaliste… Ces instants où l’on attend que le jury populaire se prononce. Le travail n’est fini qu’à l’issue du verdict…

Le récit retrace l’histoire de Germaine Brière, célèbre avocate en son temps pour avoir défendu les sœurs Papin, mais dont la figure est aujourd’hui tombée dans l’oubli. Ce livre tente de restaurer sa mémoire, son parcours, sa vie si brève mais si intense. Julia Minkowski se livre à une réflexion sur la carrière de Geneviève Brière. Elle se met dans la peau de sa consœur et nous conte les heures entre la fin de sa plaidoirie et le retour des jurés verdict entre les mains, ces quelques instants brefs ou longs, cette attente…

L’attente est un thème récurrent dans la vie de Germaine Brière. Née le 28 mai 1897 au Mans, elle est la fille unique de notables du Mans. On imagine les heures qu’elle passa enfant, dans le salon de la grande maisonnée, à attendre patiemment de trouver sa place dans une société où les femmes n’avaient que peu de voix sur le choix d’une carrière. Mais aidée par sa mère, elle fut la première femme inscrite au barreau de la Sarthe. Il lui aura fallu toutefois attendre 5 ans pour y parvenir, allant jusqu’à intenter un procès contre le barreau qui lui avait refusé son inscription en raison, selon eux, de mœurs légères et d’une attitude de « garçonne ». C’est dire si sa pugnacité fut déjà mise à rude épreuve… Très vite, elle se fait un nom dans cette petite ville de province en défendant les plus démunis. Elle était d’ailleurs souvent commise d’office.

Mais c’est le procès d’une véritable crapule qui l’a fit basculer envers et contre tous dans le combat contre la peine de mort, qui à cette époque n’en était qu’à ses balbutiements…

Là encore, attendre avec le condamné et voir le plus grand des salauds se transformer en être perclus de doutes mais faisant face à la justice humaine… Cette épreuve la convaincra de la justesse de son combat, et les derniers mots du condamné à son intention seront un leitmotiv dans sa vie : « Quand il y aura des bonnes femmes juges, là on vous écoutera. Tout ce que vous avez dit sur la peine de mort… Nous les gonzes, on a trop de violence, là ». (p. 162). Son seul objectif sera désormais de défendre ces « gonzes » et leurs violences contre une société qui exclut le plus grand nombre : femmes, hommes de basses extractions, la vraie lutte des classes se joue dans les prétoires à cette époque.

On suit le cheminement des pensées de cette avocate en cette journée du 29 septembre 1933, au cours de laquelle le destin de deux femmes, deux bonnes, qui ont plus ou moins reconnu avoir assassiné leurs patronnes dans d’affreuses conditions, fera d’elle l’avocate qui a sauvé des démentes ou celle qui a échoué à défendre ces pauvresses… Si elle a essayé d’instiller le doute dans la tête du jury dans le cas des sœurs Papin, convaincue comme beaucoup qu’« elles sont piquées » (p. 114), son sort sera à jamais lié à elles…

De la sortie de la cour d’assises au cabinet de toilettes, à la salle des pas perdus pour finir au Café du commerce… Cette pérégrination la mène sur les traces de son passé, son enfance, ses études de droit à Paris, ses amitiés, ses amours mais surtout « ses » affaires, grandes ou petites, et surtout ses clients : des femmes et des hommes souvent démunis, qu’elle défend du plus profond de son âme même si elle en convient, tous ne se valent pas.

Il faut lire ce roman, car Julia Minkowski y met toute sa conviction et la qualité de sa plume à défendre son illustre consœur, à faire revivre un temps où l’avocat pénaliste jouait à chaque procès la tête de son client. Une vie de luttes, mais aussi de passions, pour un métier que l’on capte avec émotions.

Un roman qui nous conte la vie d’une femme dans la grande histoire des faits divers qui aura échappé à la postérité, le temps effaçant de la mémoire populaire ce destin d’une avocate qui a défendu d’autres femmes, dont le sort était scellé peut-être bien trop tôt et dont le destin fut bouclé en 40 minutes de délibérations.

Ce livre ne manquera pas de replacer Germaine Brière au centre de ce Panthéon de grands avocats dont la vie fut tournée vers les autres et dont les convictions sont encore et toujours d’actualité, et de nous faire découvrir au-delà du prétoire une grande écrivaine, Julia Minkowski.

Par-delà l’attente, Julia Minkowski, JC Lattès, 19,90 €, 224 p.

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