Partir… Partir…
Albin Michel
Dès la première phrase, le ton est donné, Alexis Michalik – ou plutôt son narrateur – vous prend par la main et vous entraîne dans son monde…
L’incipit, est celui-ci : « Ami lecteur, avant de pénétrer dans les méandres du récit, je voudrais te poser une question : Qui es-tu ? ».
Voilà, le ton est donné, mais ne vous fiez pas à cet avant-propos, car ici point de roman d’introspection, ou de psychologie de seconde classe, non, il s’agit bien d’un roman d’aventures voire d’apprentissage pour nos trois protagonistes !
Trois personnages hauts en couleurs, la référence est facile, mais tellement véridique pour ces trois caractères tellement différents…
L’un avocat, fiancé, posé et intègre, Antoine ; l’autre apprenti journaliste, rêveur et séducteur, qui a laissé une femme dans chaque pays visité, Laurent ; et Anna, la petite sœur de 19 ans d’Antoine, vagabonde, boule d’énergie et de mauvaises humeurs… mais qui recèle d’ingéniosités.
Ce trio va donc partir, sur un coup de tête, parce que La Poste a commis une erreur 19 ans plus tôt en ne remettant pas à ses destinataires une carte postale qui leur avait été adressée. Cette carte vient de leur père, Charles, qui a abandonné femme enceinte et enfant de 6 ans, seuls, du jour au lendemain, sans plus jamais donné signe de vie… Après tout, que risquent-ils à remonter cette piste, perdre quelques jours sur leur temps de vacances…?
Mais ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que cette piste va les mener de l’Autriche à l’ex-Allemagne de l’Est, de la Turquie à la Géorgie, et plus loin encore…
Traversant le continent européen à bord d’une vielle Lada, les péripéties vont se succéder afin de combler un vide et trouver peut-être celui qui sommeille en chacun de nous : un aventurier.
Ce qui est captivant dans ce roman, c’est l’intelligence du propos, le questionnement qui parcourt les personnages sur les lieux, les événements, ce qui a été fait et ce qui doit être défait, l’héritage, les gènes ou finalement ce qui relève de l’acquis ou de l’inné.
Tout est précis, les lieux, leur histoire. Chaque pays traversé est source d’un récit historique qui s’imbrique dans la vie de nos personnages. Là réside tout le talent d’Alexis Michalik, chez qui on apprécie par-dessus tout le talent de conteur. Ces différentes pièces, du Porteur d’histoires au succès aux 5 Molières d’Edmond, mais aussi à Intra muros ou le Cercle des illusionnistes, nous avons toujours apprécié la qualité de son travail, réussissant avec brio à faire venir au théâtre, initiés et non-initiés ; autant dire une gageure en France, où l’on apprécie fort peu le mélange des genres !
Alors qu’en est-il de ce premier roman, qui résonne en nous comme cette chanson de Julien Clerc, Partir :
« Partir Partir
Même loin de quelqu’un
Ou de quelqu’une
Même pas pour aller chercher fortune
Oh partir sans rien dire
Vivre en s’en allant ».
C’est un vrai page turner, dans le bon sens du terme : on tourne très vite les pages, on voyage de pays en pays, de la grande histoire à la petite histoire de nos personnages. Les trois amis sont très bien décrits, chacun ayant suffisamment de place pour exister au fil de ces pages.
Toutefois, tant que l’histoire se situe sur notre continent, on relève une précision et une justesse dans les propos. Mais, il y a un tournant à partir duquel on éprouve une certaine lassitude. L’histoire aurait-elle mené trop loin le conteur, qui ne sait plus trop comment achever son récit ?
Alors, comme un des plus grands auteurs de théâtre français, il préfère faire appel à un tour de passe-passe, tel le deus ex machina, cher à Molière, l’histoire s’achève un peu abruptement, c’est dommage… car on aurait aimé aller encore plus loin avec cette joyeuse troupe.