Reconnaissance de la formation d’un contrat de travail à partir d’une promesse unilatérale de contrat
Dans le contexte de la remise en cause de la jurisprudence sur la promesse d’embauche à la lumière de la réforme du droit des contrats, la décision rapportée présente l’intérêt de montrer comment sont reconnus l’avant-contrat de promesse unilatérale de contrat de travail et la formation de ce dernier.
CA Toulouse, 21 déc. 2018, no 17/05545
L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 21 décembre 2018 ci-dessus reproduit a pour particularité de donner une suite à l’une des deux décisions1, largement diffusées, rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation le 21 septembre 20172 à propos de la formation du contrat de travail, la haute juridiction ayant porté un coup d’arrêt à la jurisprudence sur la promesse d’embauche qui était très critiquée pour son défaut d’orthodoxie.
Avant cette évolution importante, la promesse d’embauche permettait d’illustrer le conflit de logiques entre le droit civil et le droit du travail3. Désormais, c’est la mise en conformité du second avec le premier qui est mise à l’honneur, car il est prescrit d’analyser la phase préparatoire au contrat de travail en tenant compte de ce que prévoit le Code civil depuis la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 20164.
Sous le visa de l’article 1134 du Code civil exprimant, dans sa rédaction applicable en la cause, la force obligatoire du lien contractuel, et de l’article L. 1221-1 du Code du travail selon lequel « le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun », la chambre sociale de la Cour de cassation avait cassé avec renvoi pour violation de la loi la décision de la cour d’appel de Montpellier. La juridiction de renvoi prend ainsi parti sur une qualification juridique se rapportant à la période qui précède l’entrée en fonction de nouveaux salariés, dans un contexte de revirement jurisprudentiel.
L’examen de la motivation de l’arrêt permet tout d’abord de constater que la cour d’appel de Toulouse a fait siennes les prescriptions de la haute juridiction destinées à remettre en cause la jurisprudence contestable sur la promesse d’embauche (I). Mais il apparaît ensuite que les juges ont été convaincus qu’un contrat de travail avait été formé sur la base… d’une promesse unilatérale de contrat. Le choix de cette qualification peut légitimement surprendre dans la mesure où l’évolution jurisprudentielle vise à ne plus assimiler les offres ou même les projets moins aboutis de contrat à des promesses d’embauche. Il est donc intéressant de voir comment s’est forgée la conviction des juges (II).
I – La prise en compte des prescriptions destinées à remettre en cause la jurisprudence sur la promesse d’embauche
La cour d’appel de renvoi s’est prononcée en reprenant la feuille de route établie par la Cour de cassation pour remettre de l’ordre dans le règlement du contentieux relatif à la période précédant l’embauche. Après avoir mis en évidence les règles qui sont mobilisées (A), nous évoquerons la jurisprudence qui est brisée (B).
A – Les règles mobilisées
L’arrêt reproduit les définitions de l’offre de contrat de travail et de la promesse unilatérale de contrat de travail que la Cour de cassation a fait apparaître dans son attendu de principe 1 an plus tôt : « l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire (…) en revanche, la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ; la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis ».
Ces principes conduisent à admettre la conclusion d’un contrat de travail par l’acceptation d’une offre d’emploi ferme et complète, ainsi que par la levée d’une option consentie à une personne déterminée dans le cadre d’une promesse unilatérale de contrat contenant les éléments essentiels du contrat définitif5. Alors que la rétractation fautive de l’offre engage la responsabilité délictuelle de son auteur6, le non-respect de la promesse n’empêche pas la formation du contrat et emporte par conséquent la rupture fautive de celui-ci. Cependant, la formation d’un contrat de travail peut aussi résulter de la conclusion d’une promesse synallagmatique7 par laquelle chaque partie s’engage à conclure le contrat définitif dont le commencement d’exécution est différé et que permet de bien identifier la stipulation d’une clause pénale réciproque8.
La base conceptuelle que reprend à son compte la cour d’appel de Toulouse renvoie aux nouveaux articles 1114 et 1224 du Code civil issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 précitée. La décision de la cour d’appel de Montpellier a été cassée parce que la définition de la promesse unilatérale de contrat de travail découlant du nouvel article 1124 du Code civil ne permet plus de retenir que la promesse d’embauche vaut en elle-même contrat de travail9. Les faits de l’affaire commentée remontant à 2012, les nouveaux textes ne lui étaient cependant pas directement applicables dès lors que l’article 9, alinéa 2, de l’ordonnance du 10 février 2016 précise que les contrats conclus avant son entrée en vigueur (le 1er octobre 2016) demeurent soumis à la loi ancienne. La décision de la Cour de cassation apparaît d’autant plus audacieuse qu’elle casse un arrêt rendu entre la date de la publication de l’ordonnance et celle de son entrée en vigueur10.
L’indépendance des juridictions autorisait la cour d’appel de renvoi à se prononcer en faisant une stricte application de l’article 9, alinéa 2, de l’ordonnance, d’autant que l’on avait fait comprendre11 que l’ajout « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public » apporté par la loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 201812 cherchait à « combattre la jurisprudence de la Cour qui s’est développée depuis 2017 »13. Cependant, ce renforcement n’a pas fermé la possibilité de réitérer les décisions qui appliquent par anticipation les règles que la réforme contient afin de remettre en cause une solution purement prétorienne.
Il est en effet admis que les juges peuvent se prononcer « à la lumière de la loi nouvelle » pour réaliser de façon anticipée sur les contrats en cours l’évolution souhaitable que celle-ci emporte. Comme le remarque le professeur Hugo Barbier14 lorsqu’elle n’est pas applicable, la loi nouvelle fait figure de droit souple pour le juge qui la contemple et ce dernier peut réaliser entre le droit ancien et le droit nouveau, une transition différente de celle qui doit normalement s’opérer à l’aune du principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle. Il a été également observé que la problématique de la succession de lois dans le temps ne se retrouvait pas lorsque l’on confronte la loi qui vient d’être publiée à la jurisprudence qui s’est créée dans le silence du législateur15.
Par conséquent, en reproduisant au début de sa motivation la nouvelle grille d’analyse de la période précontractuelle conçue par la chambre sociale de la Cour de cassation à partir des nouvelles dispositions du Code civil, la cour d’appel de Toulouse dévoile à son tour son souhait de faire évoluer le droit applicable à la formation du contrat de travail. Cependant, il ne lui a pas paru nécessaire de faire expressément référence à « l’évolution du droit des obligations » résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 pour briser la jurisprudence sur la promesse d’embauche.
B – La jurisprudence brisée
Cette jurisprudence prend sa source dans un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 15 décembre 201016. Par excès de faveur pour le salarié, l’offre de contrat, la promesse de contrat et le contrat définitif ont été mis sur le même plan : « Constitue une promesse d’embauche valant contrat de travail l’écrit qui précise l’emploi proposé et la date d’entrée en fonction ». À ce mélange des qualifications juridiques s’ajoutait l’incohérence consistant à délaisser la rémunération du contenu de la promesse17 alors qu’elle est à l’évidence, pourtant, un élément essentiel du contrat de travail18. Il y avait donc d’excellentes raisons de remettre de l’ordre pour appréhender la formation de ce contrat sans commettre d’aberration juridique.
Or dès avant la réforme du droit des contrats et du régime des obligations, la chambre sociale de la Cour de cassation avait réalisé une évolution. Plusieurs arrêts publiés au Bulletin ne peuvent en effet être compris qu’à la condition de distinguer la promesse d’embauche du contrat de travail19. Il a par exemple été décidé que l’absence de référence dans la première à la période d’essai, n’empêchait pas de la prévoir dans le contrat définitif20, et que le formalisme imposé par le législateur pour le contrat de travail à durée déterminée ne s’appliquait pas à une promesse d’embauche21. Il n’y a donc pas lieu de considérer que l’abandon de cette construction prétorienne s’est brutalement imposé à la haute juridiction. Dans l’affaire commentée, l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier a été cassé parce qu’il se plaçait dans le sillage de la jurisprudence de 2010 en précisant que « la promesse d’embauche engage l’employeur même si le salarié n’a pas manifesté son accord ». Mais dans la mesure où cette jurisprudence s’était déjà effritée sous sa main, la chambre sociale pouvait la faire aboutir sans se recommander du nouveau droit des contrats22.
Le rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 201723 explique que la position jurisprudentielle qu’elle remet en cause – celle de 2010 – « ne prenait pas en compte la manifestation du consentement du salarié », et que « ce sont les précisions sur les dates d’entrée en fonction, l’emploi proposé ou la rémunération qui permettent aux parties de se déterminer… ». Le message est clair : la protection du candidat à un emploi ne doit plus passer par une conception erronée de la formation du contrat de travail. Les juges du fond sont désormais appelés à faire une recherche attentive du consentement de la personne dont le recrutement est envisagé.
La Cour de cassation souhaite faire disparaître « un risque d’effet d’aubaine non-négligeable, le salarié pouvant réclamer des indemnités de rupture sur le seul fondement de la promesse d’embauche, alors même qu’il n’avait pas l’intention de s’engager ou qu’il préférait une autre proposition »24. Ainsi, l’absence de commencement d’exécution d’un contrat à durée déterminée produisant les mêmes conséquences que sa rupture anticipée, l’admission de la conclusion d’un tel contrat implique la condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait dû verser à la personne auprès de laquelle il s’est indûment rétracté jusqu’au terme prévu du contrat de travail25. Tel était l’enjeu dans l’affaire commentée26.
La chambre sociale de la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel de Montpellier de s’être prononcée comme elle l’a fait « sans constater que l’acte du… offrait au joueur le droit d’opter pour la conclusion du contrat de travail dont les éléments essentiels étaient déterminés et pour la formation duquel ne manquait que son consentement ». La définition « civiliste » de la promesse unilatérale de contracter est ainsi mise en opposition avec les assimilations regrettables qui ont été opérées à travers la notion de promesse d’embauche. Les propositions de l’employeur doivent être désormais différenciées et distinguées du contrat de travail.
Comme la reconnaissance d’un contrat de travail à partir d’une promesse unilatérale de contrat implique un consentement à la promesse et la volonté de s’engager de la part de son bénéficiaire, ce qui était hier qualifié de promesse d’embauche devrait désormais le plus souvent n’apparaître que comme une offre de contracter voire, si un élément essentiel du contrat de travail fait défaut, comme une simple entrée en pourparlers. La cour d’appel de renvoi a cependant été convaincue qu’un contrat de travail s’était formé à partir d’une promesse unilatérale de contracter.
II – La conviction de la formation du contrat de travail à partir d’une promesse unilatérale de contrat
En prononçant une cassation avec renvoi, la haute juridiction a souhaité que les juges du fond reprennent tous les éléments du dossier et se prononcent à la lumière de son attendu de principe qui distingue deux modes de formation du contrat de travail, l’offre de contrat de travail et la promesse unilatérale de contrat de travail. La cour d’appel de Toulouse qui s’est vu confier ce réexamen, a finalement considéré qu’une promesse unilatérale de contrat de travail avait été conclue (A) et que le droit d’option qui s’attache à cet avant-contrat avait été utilisé (B).
A – L’admission d’une promesse unilatérale de contrat de travail
La promesse unilatérale de contracter acte le fait que l’employeur a d’ores et déjà arrêté sa volonté de travailler à des conditions précises avec celui qui en est le bénéficiaire, ce dernier se voyant reconnaître le droit de faire naître le contrat définitif. En l’espèce, un joueur évoluant à l’étranger avait été démarché le 14 mars 2012 par le mandataire d’un club de rugby. Le surlendemain, l’agent du joueur avait fait connaître à son interlocuteur les propres conditions du rugbyman. Le président du club s’étant montré favorable à la rédaction d’un pré-contrat, ce document a été envoyé par courriel au joueur le 22 mars 2012 avec la prise en compte de ses exigences. Le club demandait aussi au rugbyman de venir sur place passer une visite médicale. Le 1er mai 2012, l’agent sportif du joueur a fait savoir au club qu’ils avaient pris des dispositions pour effectuer le voyage en France. Le déplacement et l’examen médical ont été effectués entre le 8 et le 10 mai.
La succession d’une proposition de contracter et d’une contreproposition, l’envoi par courriel d’un pré-contrat et l’annonce faite par l’agent sportif du joueur au club de rugby de leur venue sur place ont convaincu les juges de la cour d’appel de renvoi de l’existence d’une promesse unilatérale de contrat. L’intérêt de la décision est de montrer que si le droit des contrats donne une définition de la promesse unilatérale de contrat27, la conclusion du contrat définitif intégrant cet avant-contrat ne peut s’apprécier sans tenir compte de son objet. Elle révèle en effet que l’on ne peut transposer sans adaptation à la formation du contrat de travail ce que l’on connaît à propos de la promesse unilatérale de vente. La différence contextuelle explique que l’existence d’un droit d’option apparaisse très clairement dans la vente parce que la promesse unilatérale prévoit en principe un délai précis pour opter et une indemnité d’immobilisation. En l’espèce, il apparaît que ce droit est implicite en ce qu’il découle de la seule reconnaissance par les juges d’une promesse unilatérale de contrat de travail.
Avant que la haute juridiction ne rende en 2017 ses arrêts de principe, il avait été suggéré28, afin de ne plus déroger au droit commun, de limiter les débats sur la période précontractuelle en matière de contrat de travail à l’offre d’embauche et à la promesse synallagmatique de contrat valant contrat de travail, en relevant la difficulté qu’il y a, dans le cadre d’une promesse unilatérale, à justifier d’un droit d’option implicite. Mais en raisonnant de la sorte, l’idée d’un réel avant-contrat disparaît. Ce qui pourrait éventuellement se substituer à la promesse unilatérale de contrat ne mentionnant pas un droit d’option serait la promesse synallagmatique ne valant pas contrat de travail29. Elle impliquerait pour les juges de constater que les parties se sont mises d’accord sur les éléments essentiels du contrat de travail et qu’elles se sont mutuellement engagées à le conclure.
Pour l’heure, ce n’est pas dans ce sens que s’est orientée la haute juridiction, toute préoccupée à mettre la formation du contrat de travail « au diapason avec les nouvelles règles issues de la réforme du droit des contrats »30 en opposant une proposition de contracter à un contrat préparatoire unilatéral. La première n’est pas un acte unilatéral31, mais « un fait juridique qui n’est autre que la volonté contingente de l’offrant, son état psychologique extériorisé, dont elle ne se sépare jamais »32 ; il en est autrement dans le second parce que « le consentement (…) gagnant son autonomie par rapport à la psychologie de son auteur, s’enchâsse dans un engagement véritable »33. Il a été aussi remarqué que dans la mesure où elle n’était pas en principe un contrat solennel, la promesse unilatérale de contrat visait toujours « au moins implicitement à conférer au destinataire un délai de réflexion »34 et qu’il était possible d’admettre sa formation « par un simple consentement tacite (art. 1113, al.2), voire un silence (art. 1120)…»35[du Code civil].
Ces réflexions nous paraissent appropriées à la promesse unilatérale de contrat de travail. La confirmation d’une offre d’emploi après un entretien36 ou l’information donnée par l’employeur au candidat à un emploi que sa candidature a été retenue37 nous paraissent par exemple pouvoir être considérées comme des promesses unilatérales de contrat, même si le salarié n’a pas formalisé son intention de quitter son emploi actuel. En l’espèce, la venue sur place du joueur donne la certitude qu’il a consenti au pré-contrat qui lui a été transmis. Mais on peut aussi admettre un consentement par anticipation lorsque l’acte précontractuel reprend les éléments d’une contreproposition ou s’en approche fortement38.
Ainsi qu’un auteur l’observe39, pour prendre parti sur les qualifications discutées par les parties au litige, les juges du fond porteront une attention particulière à l’expression de la volonté de l’employeur parce qu’elle est plus contraignante dans une promesse unilatérale de contrat que dans l’offre de contracter. Dans l’arrêt commenté, la volonté de s’engager du club est soulignée par les juges : elle « est d’autant plus intense » selon eux que la date du 22 mars figurant à l’acte (le pré-contrat) a « été inscrite par le club lui-même » avant que ce dernier ne le fasse parvenir le jour même par courriel au joueur. De même, une lettre précisant que le gérant d’une société s’engage à recruter telle personne oriente sur la promesse unilatérale de contrat40.
C’est à propos des personnes qui sont très sollicitées en raison de leur spécialité, de leurs compétences ou de leur potentiel, que les juges seront plus facilement amenés à constater l’existence de promesses unilatérales de contrat de travail. Les clubs sportifs, en particulier, veillent à optimiser le budget dont ils disposent en faisant des propositions à des joueurs dont ils estiment que les qualités leur permettront d’obtenir de bons résultats sur la saison. Confrontés à la concurrence, ces clubs ont intérêt à montrer que leur volonté de procéder à un recrutement est affirmée et qu’ils s’engagent41. La tâche du juge sera facilitée par l’envoi d’un pré-contrat à la suite d’un échange de mails d’autant que, dans le sport de haut niveau, les clubs peuvent mandater un agent sportif pour négocier l’engagement de joueurs sur plusieurs saisons42. De façon plus générale, une promesse unilatérale de contrat favorise une prise de décision pour une mobilité géographique en sécurisant celle-ci43, étant précisé qu’elle peut contenir des précisions sur d’autres éléments que ceux visés par la chambre sociale de la Cour de cassation et qui sont tout aussi importants pour son bénéficiaire.
Pour admettre la conclusion d’un contrat de travail, il ne suffit pas de constater l’existence d’une promesse unilatérale. L’option que confère la promesse doit aussi avoir été utilisée, ce que la décision commentée a admis.
B – L’utilisation du droit d’option par le bénéficiaire de la promesse
La promesse unilatérale de contrat en décompose la formation, l’employeur donnant son consentement définitif le premier tandis que le bénéficiaire de la promesse l’exprime de façon décalée en second. On parle de levée d’option. En l’espèce, les juges de la cour d’appel de renvoi ont été convaincus de celle-ci après avoir constaté que le joueur avait signé le contrat. Cependant, il n’y avait pas lieu de s’efforcer de démontrer que l’acceptation du joueur était antérieure à la date de révocation de la promesse. Même si elle était parvenue au club après la date de la révocation de la promesse, soit le 6 juin, le contrat de travail n’en devait pas moins être considéré comme conclu.
En effet, alors que la rétractation de l’offre avant la réception de l’acceptation durant le délai donné à son destinataire pour l’examiner empêche la formation du contrat, la révocation de la promesse unilatérale parvenue à son destinataire durant le temps laissé pour opter n’a pas cette conséquence. Certains auteurs44 l’expliquent en mettant en évidence la nature particulière du droit d’option, celle de droit potestatif, qui place la personne qui le consent dans un « lien de sujétion »45 par rapport à son bénéficiaire parce qu’elle ne peut rien faire pour s’opposer au choix qui a été ouvert à ce dernier. D’autres auteurs46 préfèrent se placer sur le terrain de la force obligatoire de la promesse unilatérale de contrat parce qu’elle permet de mieux rendre compte de la situation du promettant et du mécanisme de la formation du contrat définitif : « la partie à qui l’engagement contractuel est opposé (…) n’apparaît en aucune manière comme un débiteur, (…) elle n’est pas obligée de faire ou de ne pas faire quelque chose, mais quoi qu’elle fasse ou ne fasse pas, quoiqu’elle veuille ou ne veuille pas, l’effet juridique du contrat se produira de toute façon, s’imposera à elle ». Dès lors, à défaut de pouvoir considérer que le temps pour opter est révolu, peu importe la date à laquelle le promettant a révoqué sa promesse.
La promesse unilatérale de contrat de travail est assortie d’un terme implicite, celui de la date de la prise des fonctions. Il est admis qu’en l’absence de stipulation d’un délai précis, le temps pour opter doit être raisonnable et que le promettant ne peut se dégager de sa promesse sans mettre préalablement en demeure le bénéficiaire de prendre parti47. En l’espèce, l’option a été levée en quelques jours : les juges ont considéré que le joueur avait remis le contrat signé sur place en le déduisant du déplacement effectué depuis l’étranger et des relances effectuées par l’agent sportif du joueur pour récupérer le contrat avec la signature du président du club. De la preuve de la relance l’on pouvait plus simplement selon nous attester de l’utilisation du droit d’option. Il convient d’ajouter que si la rétractation du club motivée par l’absence de solution trouvée au reclassement du joueur évoluant au même poste avait été prise en compte, elle aurait produit l’effet d’une condition suspensive que le pré-contrat ne stipulait manifestement pas.
La révocation d’une promesse unilatérale de contrat acceptée par son bénéficiaire autorise ce dernier à en poursuivre l’exécution forcée. Mais comme il est difficile d’imposer une relation de travail à un employeur, la situation se règlera sous la forme de la rupture abusive du contrat de travail. Par ailleurs, une prise d’acte de rupture aux torts de l’employeur est envisageable s’il change d’avis le jour de l’entrée en fonction ou s’il ne respecte pas une stipulation de la promesse qui est essentielle pour la personne recrutée. Dans cette hypothèse la Cour de cassation48 vient de faire savoir qu’elle n’était pas favorable à l’exigence d’une mise en demeure préalable de l’employeur sur le fondement de l’article 1226 du Code civil tel qu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016, au regard du particularisme des modes de rupture du contrat de travail.
L’intérêt de la décision commentée, quant à lui, est de montrer que le « rôle matriciel »49 désormais reconnu au droit civil dans la phase préparatoire au contrat du travail ne fait pas disparaître toute idée de spécification de la règle générale par le droit du travail50. Il y a là une illustration supplémentaire de l’enrichissement mutuel que peuvent s’apporter les deux disciplines51. Certes, il est possible que la reconnaissance d’une promesse unilatérale de contrat de travail assortie d’un droit d’option implicite suscite des réticences. Mais il ne nous paraît pas réaliste de n’admettre cet avant-contrat en matière de recrutement de personnel que lorsqu’un document fait expressément référence au droit d’option. L’essentiel n’est-il pas d’être en rupture avec les assimilations contestables qui étaient opérées avec la promesse d’embauche ?
Notes de bas de pages
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1.
Cette juridiction s’est prononcée le même jour sur la deuxième affaire : CA Toulouse, 21 déc. 2018, n° 17/05544, D : SSL 18 févr. 2019, n° 1849, p. 9, obs. Tournaux S.
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2.
Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20103 et Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-21104 : D. 2017, p. 2289, note Bauduin B. et Dubarry J. ; D. 2017, p. 2007, note Mazeaud D. ; RJS 12/2017, Études et doctr. p. 859, note Mouly J. ; JCP S 2017, 1356, note Loiseau G. ; RDT 2017, p. 715, obs. Bento de Carvalho L. ; RLDC 2017/11, n° 153, note Buy F. ; Gaz. Pal. 10 oct. 2017, n° 304x6, p. 13, obs. Latina M. ; JCP G 2017, 1238, note Molfessis N. ; Lexbase, éd. sociale, n° 714, 5 oct. 2017, note Radé C. ; RTD civ. 2017, p. 837, obs. Barbier H. ; Contrats, conc. consom. 2017, comm. 238, note Leveneur L. ; D. 2018, p. 371, obs. Mekki M. ; AJ contrat 2017, p. 480, obs. Bucher C.-E. ; Dr. soc. 2018, p. 170, étude Vatinet R. et Dr. soc. 2018, p. 175, étude Pagnerre Y. ; Gaz. Pal. 9 janv. 2018, n° 310t1, p. 29, obs. Houtcieff D. ; Cah. soc. nov. 2017, n° 121v5, p. 527, obs. Icard J.
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3.
V. sur ce thème, Pousson A., « Contrats individuels de travail et droit commun des contrats-Influences croisées (1988-2003) », in Krynen J. et Hecquard-Théron M. (dir.), Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit. Bilans., t. 1, 2005, Presses de l’université Toulouse 1 Capitole, p. 131 et s.
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4.
JO, 11 févr. 2016.
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5.
La Cour de cassation ne voit que des pourparlers lorsqu’un élément essentiel n’est pas définitivement déterminé, v. Cass. soc., 26 sept. 2018, n° 17-18560, F-D.
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6.
V. C. civ., art. 1116, al. 2.
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7.
V. Rabu G., « Promettre un contrat de travail dans le sport professionnel », Les cahiers de droit du sport, n° 46, 2017, doctr., p. 11 et s ; spéc. p. 15.
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8.
V. par ex. Cass. soc., 17 mars 2010, n° 07-44468 : Bull. civ. V, n° 69 ; JCP S 2010, 1270, note Jacotot D. ; D. 2011, p. 703, obs. J.-P. K., Centre de droit et d’économie du sport de Limoges – Cass. soc., 27 juin 2012, n° 10-28115, F-D : JS 2012, p. 37, obs. Auzero G. ; LPA 10 juin 2013, p. 3, obs. Buy F. ; D. 2013, p.703, obs. S. K., Centre de droit et d’économie du sport de Limoges.
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9.
Ce texte, l’un des plus importants de la réforme, a pour raison d’être l’anéantissement de la jurisprudence issue du célèbre arrêt consorts Cruz rendu en 1993 sanctionnant seulement par l’allocation de dommages et intérêts la rétractation du promettant dans l’hypothèse de la promesse unilatérale de vente. V. par ex. Deshayes O., Génicon T. et Laithier Y-M., Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 179.
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10.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, quant à elle, a réaffirmé la position qu’elle admet depuis plus d’un quart de siècle (v. note 10) à propos d’une promesse unilatérale de vente consentie avant l’entrée en vigueur de Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 : v. Cass. 3e civ., 6 déc. 2018, n° 17-21170 et 17-21171, FS-D : AJ contrat 2019, p. 94, obs. Houtcieff D. ; JCP G 2019, II 418, note Molfessis N. ; D. 2019, p. 301, Mekki M. ; JCP E 2019, 1109, comm. Mainguy D.
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11.
Bénabent A., « Application dans le temps de la loi de ratification de la réforme des contrats (art. 16 de la loi du 20 avr. 2018) », D. 2018, p. 1024 ; Mainguy D., « L’étrange rétroactivité de la survie de la loi ancienne. À propos de la loi de ratification de la réforme du droit des contrats », JCP G 2018, doctr. 964.
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12.
JO, 21 avr. 2018.
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13.
Mainguy D., « L’étrange rétroactivité de la survie de la loi ancienne. À propos de la loi de ratification de la réforme du droit des contrats », JCP G 2018, doctr. 964.
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14.
RTD civ. 2017, p. 837, obs. Barbier H.
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15.
V. Leveneur L., comm. sous Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20103 et Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-21104 : Contrats, conc. consom. 2017, comm. 238 ; Loiseau G., « L’application dans le temps de la réforme du droit des contrats : la Cour de cassation hâte le pas », Comm. com. électr. 2018, comm. 2 ; adde JCP G 2019, 418, note Molfessis N.
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16.
Cass. soc., 15 déc. 2010, n° 08-42951 : Bull. civ. V, n° 296 ; RDT 2011, p. 108, obs. Auzero G. ; JCP E 2011, 1272, note François G. ; JCP S 2011, 1104, note Puigelier C. ; Gaz. Pal. 7 avr. 2011, n° 97, p. 17, note Houtcieff D.
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17.
V. aussi Cass. soc., 30 mars 2005, n° 03-40901 : Bull. civ. V, n° 111.
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18.
V. en particulier, Mouly J., « Promesse d’embauche et contrat de travail : quelle frontière ? », Dr. soc. 2016, p. 258.
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19.
RJS 12/2017, Études et doctr. p. 859, note Mouly J. ; Lexbase, éd. sociale, n° 714, 5 oct. 2017, note Radé C.
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20.
Cass. soc., 12 juin 2014, n° 13-14258: Bull. civ. V, n° 138; D. 2015, Pan., p. 829, obs. Porta J. ; Dr. soc. 2014, p. 773, obs. Mouly J. ; JCP S 2014, 1330, note Duchange G. ; Cah. soc. juill. 2014, n° 113v3, p. 415, obs. Icard J.
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21.
Cass. soc., 6 juill. 2016, n° 15-11138 : Bull. civ. V, n° 144 ; Dr. soc. 2016, p. 867, note Mouly J. ; RDT 2016, p. 616, note Auzero G. ; JSL, n° 416, note Lhernoud J.-P. ; Cah. soc. sept. 2016, n° 119a6, p. 426, obs. Icard J.
-
22.
RJS 12/2017, Études et doctr. p. 859, note Mouly J. ; Lexbase, éd. sociale, n° 714, 5 oct. 2017, note Radé C. ; RLDC 2017/11, n° 153, note Buy F.
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23.
https://www.courdecassation.fr/IMG/pdf/rapport2017.pdf.
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24.
https://www.courdecassation.fr/IMG/pdf/rapport2017.pdf.
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25.
La jurisprudence fait application de C. trav., art. L. 1243-4.
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26.
Plus précisément, étaient sollicités le paiement d’une somme prenant en compte les salaires nets pour deux saisons sportives et l’indemnisation de divers avantages en nature.
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27.
C. civ., art. 1124.
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28.
Tournaux S., « Le contrat de travail et les dérogations au droit commun du contrat », Dr. soc. 2017, p. 688.
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29.
RJS 12/2017, Études et doctrine p. 866, note Mouly J.
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30.
Loiseau G., « Focus sur l’offre et la promesse d’embauche », FRS n° 19/18, Question pratique n° 3, p. 15.
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31.
V. JCP G 2017, 1238, note Molfessis N.
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32.
Deshayes O., Génicon T. et Laithier Y-M., Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 141.
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33.
Deshayes O., Génicon T. et Laithier Y-M., Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 141, note 99.
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34.
Deshayes O., Génicon T. et Laithier Y-M., Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 183, note 199.
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35.
Deshayes O., Génicon T. et Laithier Y-M., Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 183.
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36.
CA Paris, 6-9, 23 janv. 2019, n° 16/09755.
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37.
V. Jeansen E., « Le contrat de travail né d’une promesse d’embauche », JCP S 2017, 1249 ; Hauser Costa N., « La promesse d’embauche », RJS 5/97, Études et doctrine, p. 331, spéc. p. 334.
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38.
V. CA Reims, 24 janv. 2018, n° 17/00629.
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39.
Loiseau G., « Focus sur l’offre et la promesse d’embauche », FRS n° 19/18, Question pratique nos 9 et s., p. 16 et 17. L’auteur en fait aussi le constat à partir de divers arrêts de cour d’appel rendus depuis le revirement opéré par la chambre sociale de la Cour de cassation.
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40.
Cass. soc., 12 avr. 1995, n° 91-44249,F-D ; v. aussi Cass. soc., 7 nov. 2007, n° 06-42439 : RDT 2008, p. 27, obs. Auzero G. – Cass. soc., 17 mars 1971, n° 70-40062 : Bull. civ. V, n° 217.
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41.
L’autre décision rendue par la cour d’appel de Toulouse le 21 déc. 2018 (v. note 1) fait ressortir que le club sportif avait envoyé à un joueur un courriel l’informant que deux conventions étaient jointes, l’une précisant tous les éléments essentiels du contrat de travail du joueur, l’autre par laquelle le club s’engageait à mettre à la disposition de celui-ci pendant toute la durée de son contrat de travail un véhicule et un logement et à prendre en charge les frais locatifs. À la suite de plusieurs mails de l’agent du joueur montrant l’intérêt pour cette proposition et informant de la signature du contrat, la version scannée du contrat signé par le joueur est parvenue par courriel au club. Deux jours après, ce dernier s’est rétracté. La cour d’appel de Toulouse a également considéré que les parties avaient conclu une promesse unilatérale de contrat de travail et que l’option avait été levée.
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42.
V. CA Reims, 24 janv. 2018, n° 17/00629.
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43.
En ce sens, v. RDT 2017, p. 715, obs. Bento de Carvalho L.
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44.
V. Najjar I., Le droit d’option. Contribution à l’étude du droit potestatif et de l’acte unilatéral, t. 85, 1967, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, p. 104, n° 100 ; Terré F. et a., Droit civil. Les obligations, 12e éd., 2018, Dalloz, Précis, p. 287, n° 258.
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45.
Najjar I., Le droit d’option. Contribution à l’étude du droit potestatif et de l’acte unilatéral, t. 85, 1967, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, p. 104, n° 100.
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46.
V. Ancel P., « Force obligatoire et contenu obligationnel », RTD civ. 1999, p. 771 et s., spéc. n° 30 ; Martin D.-R., « Des promesses précontractuelles », in Droit et Actualité. Études offertes à Jacques Béguin, 2005, Litec ; Mazeaud D., « Mystères et paradoxes de la période précontractuelle », in Études offertes à Jacques Béguin, 2001, LGDJ, p. 639 et s., spéc. n° 24.
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47.
V. Bénabent A., Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 12e éd., 2017, LGDJ, Précis Domat, p. 93, n° 99.
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48.
Cass. soc., avis, 3 avr. 2019, n° 19-70001 : JCP G 2019, act. 424, obs. Corrignan-Carsin D. ; BJT mai 2019, n° 111q9, p. 21, note Icard J.
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49.
De façon plus générale, v. Loiseau G. in JCP S 2017, 1356.
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50.
V. JCP S 2017, 1356, note Loiseau G.
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51.
V. aussi Lemoine E., « Les principes civilistes dans le contrat de travail », LPA 15 juin 2001, p. 8 et s.