Question de rhétorique : l’ennemi imaginaire
« C’est une méthode assez simple de trumpisation de la vie politique à l’œuvre partout, y compris en France » a déclaré Anne Hidalgo, maire de Paris lors d’un entretien sur RTL le 8 avril dernier, non sans pointer au passage « beaucoup de proximité avec l’extrême droite » dans ce qui aurait contribué à faire de #SaccageParis un mouvement d’ampleur. Guillaume Prigent, auteur de Avoir raison avec Schopenhauer (1), nous explique quel procédé rhétorique se joue dans cette étrange posture d’accusée.
Le constat : pourquoi c’est si tentant ?
« Je sais que je plais pas à tout le monde… Mais quand je vois à qui je plais pas, je m’demande si ça me dérange vraiment » énonce, avec philosophie, le personnage de Jean-Claude dans le film Dikkenek. Une saillie qui rappelle la célèbre formule de Talleyrand : « Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console. »
Et c’est au fond assez juste. Être brocardé par ceux dont on combat les idées n’a rien de choquant. Bien au contraire. Il ne s’y révèle rien d’autre que la guerre de position classique et légitime entre des camps opposés.
En revanche, il est des circonstances où, pris à parti sur des erreurs que l’on a réellement commises, il faut trouver une échappatoire en distrayant l’attention du public. Au nombre des moyens d’y parvenir : s’inventer un ennemi imaginaire. Dit autrement, peu importe ce que j’ai fait de mal puisque celui qui me le reproche est pire que moi. Situation dont toute personne issue d’une famille d’au moins deux enfants peut se souvenir, lorsqu’il était pris la main dans le sac et qu’il révélait, pour se couvrir, un méfait commis par sa sœur ou son frère…
Le procédé rhétorique : l’enemi imaginaire
La polémique naît ici de la diffusion croissante sur les réseaux sociaux, dès le mois de mars, de photos censées montrer l’enlaidissement de Paris, sa dégradation et la saleté de ses rues.
La Mairie de Paris s’est retrouvée sur un fil de crête consistant à admettre le problème tout en blâmant ceux qui le pointent. Elle a ainsi reconnu mezzo voce de vraies difficultés à assurer la propreté des rues de Paris, au point de promettre de déléguer « avant l’été » certaines compétences, dont la propreté, aux mairies d’arrondissements. Elle s’est également engagée à doubler le budget dédié à l’entretien et à la rénovation des rues de la capitale. Mais surtout, elle a dénoncé avec force une « trumpisation de la vie politique » et accusé le mouvement d’entretenir « beaucoup de proximité avec l’extrême-droite ». Cette dernière formule étant d’une singulière légèreté démonstrative.
Voilà comment se façonne un procédé qui vise à annuler ou atténuer la critique subie en pointant les torts de son auteur. Comme si un délinquant, accusé par un criminel et rappelant la nature de ce dernier, se trouvait lavé tout d’un coup. Or en l’espèce, les questions de propreté de Paris (pensons par exemple au vieux débat sur la Seine) ne sont pas nouvelles et ont fait l’objet de quantité d’articles. Et rien, à cette date, ne permet de crédibiliser la thèse d’une manœuvre orchestrée par l’extrême-droite à en croire notamment cet article où sont interrogés des experts des réseaux sociaux.
A de nombreux égards, ceci n’est pas sans rappeler le fonctionnement en trois temps d’un tour de magie.
Le premier acte est la promesse : présenter au public une situation banale en lui montrant que l’objet ou l’être qui se présente devant lui n’a rien d’extraordinaire. Pour notre affaire, il s’agira du cas des villes qui se salissent sous l’effet combiné du manque de civisme de certains habitants et de la difficulté pour les services de propreté de rattaper le tout.
Le deuxième est le revirement : montrer au public quelque chose d’extraordinaire qui surgit sans que l’on s’y attende. Ici, il s’agit de dire que derrière un fait bien connu jaillit une somme considérable de tweets et de photos qui pointent toutes la même réalité et que tout ceci s’est fait du jour au lendemain. Etonnamment.
Le troisième acte est le prestige, au cours duquel se produit le coup de théâtre. Dire que derrière des tweets d’apparence honnêtes… se cache en fait un complot finement ourdi par des gens « d’extrême droite ».
Le risque : crier au feu, au risque de lasser
Si rien n’interdit de rappeler à celui qui vous critique qu’il a commis bien pire que vous et qu’il se trouve dans une position bien délicate pour faire des leçons de morale, il faut au moins garder à l’esprit deux choses.
D’abord qu’un tort est un fait objectif, et que peu importe celui ou celle qui vous en fait part, il n’en reste pas moins vrai. Il est tentant de rentrer dans une course à l’échalotte pour savoir qui des deux a commis le plus de fautes « mais ça ne fait pas avancer le schmilblick », dont Pierre Dac fut l’inventeur.
Ensuite, qu’il est sans doute dangereux d’affirmer qu’on est victime d’un complot ou d’un assaut « en bande organisée » lorsque rien ne permet de le démontrer. C’est au fond rendre service à son adversaire que de le condamner sans preuve. Car on lui donne des raisons légitimes de s’offenser.
Et toute accusation s’abîme à se tromper de coupable.
(1) Librio Philosophie – novembre 2017
Pour lire les autres chroniques de Guillaume Prigent, c’est par ici.
Référence : AJU194319