Question de rhétorique : mieux vaut changer l’ordre du monde que ses désirs
« Echapper à cette hyper judiciarisation de la vie française (…) L’idée c’est de créer une justice exceptionnelle sans appel possible », telle est la proposition de Guillaume Peltier, député, conseiller régional et vice-président des Républicains et également vice-président du groupe LR à l’Assemblée nationale, énoncée le 30 mai dernier lors du Grand jury RTL. Guillaume Prigent, auteur de Avoir raison avec Schopenhauer (1), nous explique quel procédé rhétorique permet de renommer positivement ce qui constitue, en l’espèce, une entorse majeure à l’Etat de droit.
Le constat : pourquoi c’est si tentant ?
« Ce sont toujours les mêmes qui iniquent » dénonce une pancarte de protestataires dans l’épisode de Lucky Luke intitulé Ruée sur l’Oklahoma. Et lorsque l’un des vilains s’avise de demander au cerveau de la bande pourquoi il utilise toujours ce mot « inique », ce dernier lui répond « C’est un joli mot… de plus les citoyens ne le comprennent pas ».
Et ça se défend.
Que faire en effet lorsque vous vous retrouvez à défendre l’indéfendable ? Changer les règles en cours de route et considérer que les mots sont de étiquettes qu’on peut apposer sur les choses sans se soucier de savoir si cela leur correspond. Ceci n’est pas une pipe. Faire appel n’est pas une règle de droit fondamentale ?
Preuve en est donnée par l’affirmation assurée de Guillaume Peltier qui le 30 mai dernier propose de lutter contre l’hyper judiciarisation de notre système juridique en créant une « justice exceptionnelle » sans appel.
Le procédé rhétorique : devenir nomothète, le pouvoir de nommer les choses
Les mots et leurs sens forment les matières premières d’un débat. Acculé dans une impasse, il reste une seule défense : renommer votre thèse pour lui donner un visage plus acceptable. Telle loi n’est plus liberticide, mais « protectrice »… tel impôt n’est plus confiscatoire mais « à visée égalitaire »… tel comportement n’est plus scandaleux mais tout simplement « discutable »… Car une fois que vous avez imposé votre vocabulaire, le débat est déjà gagné.
Pour y parvenir, il faut suivre scrupuleusement les deux étapes suivantes.
D’abord, cibler son ennemi et choisir son terrain. Ici le problème majeur auquel on souhaite trouver une solution n’est pas le crime contre l’humanité, l’assassinat, le viol ou les discriminations quotidiennes sous toutes leur formes mais « le terrorisme ». Terme qui, dans le code pénal, trouve à s’appliquer aussi bien à des délits qu’à des crimes soit dit en passant. Une fois que ce sujet est désigné comme le point majeur qui devrait concentrer le regard de tous les acteurs de la politique pénale, on peut continuer.
Ensuite, renommer en essayant de simplifier tout ce qui s’oppose à votre thèse. En l’espèce, les considérations liées aux engagements conventionnels de la France, à sa Constitution ou plus généralement au principe largement appliqué du droit à faire appel d’une décision (y compris par la voie d’un recours grâcieux)… sont regroupés sous le terme « d’hyper judiciarisation de la vie française ». Et face à ce péril désormais simple, il ne vous reste plus qu’à proposer une solution tout aussi simple : un droit d’exception. Le pouvoir de condamner sans permettre un appel. On frémit à l’idée qu’aparaisse un élément nouveau à l’issue du procès initial, et qu’aucun appel ne soit possible.
Le risque : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde »
C’est en tout cas ce que disait Camus en faisant allusion à la pensée d’un de ses contemporains et ami, Parain. Et on comprend pourquoi : nommer une chose, c’est lui donner un visage, une apparence. Si ce qui constitue l’un des socles de notre Etat de droit n’est plus qu’une « hyper judiciarisation », alors à quoi bon se fatiguer à le défendre ?
Toute l’erreur consiste à croire qu’en changeant les mots on simplifie la réalité complexe qui se joue sous nos yeux. Tout le danger consiste à faire croire qu’il suffit de renommer les choses pour pouvoir y remédier. Et c’est d’autant plus regrettable quand celui qui s’y prête sait pertinemment que sa proposition n’a aucune chance d’advenir.
« Quand le sage désigne la Lune, l’idiot regarde le doigt ». Espérons ici que lorsque l’idiot désigne la lune, les sages puissent détourner leur regard.
(1) Librio Philosophie – novembre 2017
Pour lire les autres chroniques de Guillaume Prigent, c’est par ici.
Référence : AJU222857