Question de rhétorique : ne confondez plus ad hominem et ad personam

Publié le 31/03/2022

On emploie souvent indifféremment l’expression attaque ad hominem ou ad personam alors qu’elles visent deux techniques rhétoriques distinctes. Le 23 mars dernier dans l’émission Face à Baba, Marion Marechal a utilisé l’attaque ad hominem contre Valérie Pécresse. Les explications de Corentin Eveno, coach en prise de parole.  

Question de rhétorique : ne confondez plus ad hominem et ad personam
Photo : ©AdobeStock/Wellphoto

Mercredi 23 mars, Cyril Hanouna recevait Valérie Pécresse, candidate LR à l’élection présidentielle,  dans le cadre de son émission politique « Face à baba ».

Marion Maréchal avait été choisie pour débattre avec elle. Au cours d’une discussion sur la différence entre Islam et Islamisme, la nouvelle partisane d’Éric Zemmour lui reprocha certains comportements sur le sujet :

“C’est marrant que vous alliez sur ce débat-là car justement c’est vous qui fréquentez des associations radicales proches des frères musulmans, qui allez dans des écoles coraniques où il y a des jeunes filles voilées, qui rencontrez Mohammed Henniche qui était le recteur de la mosquée de Pantin qui a été engagée dans l’affaire Samuel Paty (…) donc manifestement c’est vous qui faites cette confusion et qui faites preuve d’une certaine compromission à leur égard”.

Une question de cohérence entre les paroles et les actes

 Marion Maréchal articule  ici à un argument dit Ad Hominem.

 Souvent confondu avec l’argument Ad Personam, qui consiste en une attaque personnelle sans aucun lien avec le fond, l’argument  Ad Hominem constitue la démonstration (ou tentative du moins) d’une contradiction entre les paroles de l’opposant d’une part, et ce qu’il a pu dire, faire ou est d’autre part, en établissant un lien avec le fond du débat.

Cette attaque est redoutable car elle touche à la cohérence de l’orateur entre ses paroles et ses actes, et donc à son ethos, sa crédibilité.

Ici, Marion Maréchal tente d’attaquer Valérie Pécresse en démontrant la contradiction entre d’un côté son prétendu combat contre l’islamisme et, de l’autre, diverses actions qu’elle a effectuées (fréquenter des associations radicales, aller dans des écoles coraniques, rencontrer Mohammed Henniche). On note d’ailleurs le lien avec le fond puisque cette attaque fait suite à une discussion sur la confusion entre islam et islamisme. Marion Maréchal en profite pour asséner le coup en commençant son propos par “C’est marrant que vous alliez sur ce débat-là”.

L’importance du lien avec le fond

C’est le lien avec le sujet qui fait de cette attaque un argument Ad Hominem. Le même reproche d’incohérence entre les paroles et les actes sur l’Islam, mais lancé au cours d’un débat sur l’écologie, en aurait fait un Ad Personam visant simplement à discréditer de façon générale l’interlocuteur.

Cet argument, consistant à placer un élu ou un candidat face à ses contradictions,  est omniprésent dans les débats politiques.

Il peut s’avérer destructeur.

On pense notamment à l’instrumentalisation de la vidéo à caractère sexuel de Benjamin Grivault en 2020 rendue public afin de démontrer la contradiction entre un discours défendant la conception traditionnelle de la famille d’un côté, et, de l’autre,  la preuve de jeux érotiques avec une tierce personne.

Il ne faut toutefois pas confondre la contradiction avec l’évolution d’une position.

Une position est adoptée dans un contexte particulier : un cadre légal, un cadre de connaissances, une situation géopolitique, ou tout autre élément constituant un cadre général.

Le droit de changer d’avis

Mais ce contexte peut évoluer et justifier de revoir sa position.

On a par exemple récemment vu Marine Le Pen revenir sur sa volonté de sortir de l’Union Européenne au motif que les conditions de celle-ci avaient évolué positivement.

L’essentiel est que l’évolution de la position soit justifiée par l’évolution du contexte, et que la nouvelle position reste cohérente avec la pensée générale de l’orateur.

Le bénéfice du droit au changement passe alors par la démonstration de cette évolution et donc par la mise en œuvre d’une autre notion classique de rhétorique, le distinguo !

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