Question de rhétorique : Zelensky ou l’art du récit dans l’évocation du combat

Publié le 07/04/2022

Qu’est-ce qu’une hypotypose ? Et une diatypose ? Jean-Corentin Poisson, formateur en prise de parole et rhétorique, explique ces figures de l’art du discours  en s’appuyant sur l’intervention du Président ukrainien Volodymyr Zelensky devant le Parlement français le 23 mars dernier. 

 

Question de rhétorique : Zelensky ou l’art du récit dans l’évocation du combat
Photo : ©AdobeStock/burnstuff2003

 

Entre la campagne présidentielle et le conflit en Ukraine, la parole des dirigeants est plus que jamais au cœur de l’actualité.

Alors que le Président Ukrainien est devenu l’incarnation de son pays, les candidats à l’élection présidentielle doivent quant à eux incarner pleinement leur discours. Pour donner plus d’impact à leur parole, l’utilisation du récit, appelée aussi storytelling, est un outil rhétorique très récurrent en politique.

Cette mécanique du récit a notamment été utilisée par le Président Volodymyr Zelensky face aux parlementaires français le 23 mars.

L’art du récit en rhétorique

En rhétorique, on répertorie de nombreuses façons d’avoir recours au récit.

Deux figures de style en particulier se détachent : la diatypose et l’hypotypose.

Selon Quintilien, l’hypotypose est l’image des choses, si bien représentée par la parole que l’auditeur croit plutôt la voir que l’entendre. C’est une description animée et frappante de la chose dont on veut donner l’idée.

La diatypose consiste quant à elle à évoquer une réalité en quelques mots seulement !

L’hypotypose pour faire ressentir la guerre

Ces 2 figures apportent beaucoup au discours car elles permettent à l’orateur de « donner à voir » : elles fournissent à l’auditoire des images qui vont ancrer durablement le message dans son esprit et donc faciliter sa mémorisation tout en renforçant sa puissance.

Ainsi dans le discours du 23 mars qu’il a adressé au Parlement français, le président ukrainien Volodymyr Zelensky commence par décrire une situation tragique : le bombardement russe qui a touché un hôpital à Marioupol le 9 mars dernier.

Cette description débute par l’évocation de la situation initiale : “C’était une ville paisible, dans le sud de l’Ukraine. Complètement paisible […] Il y avait des femmes qui se préparaient à accoucher ». Ainsi on commence par voir ce qui va être brisé.

Puis Volodymyr Zelensky  présente alors la réalité de ce terrible  bombardement et ce  dans ses moindres aspects : les morts, les blessures, les réactions des personnes présentes. La description en est froide ; l’émotion provient uniquement des détails que nous fournit cette hypotypose.

Ce contraste, au sein du récit permet bien d’accentuer chaque émotion, de mettre en relief la destruction brusque et totale de cette vie décrite auparavant comme paisible, de provoquer enfin l’indignation de l’auditoire

La diatypose : quand peu de mots veulent dire beaucoup

Si le Président ukrainien a fait un très bon usage de l’hypotypose, l’un des dérivés de cette figure de style aurait pu lui être tout autant profitable : la diatypose.

La diatypose consiste en une description brève et laissant à l’auditoire le soin de comprendre la force du moment.

Elle est notamment utilisée par Homère dans l’Iliade : “Et la lance, traversant l’œil, passa derrière la tête, et Ilioneus, les mains étendues, tomba.

Dans ce récit, Homère ne s’attache pas à donner plus de détails sur la mort d’Ilioneus. La simple description de ce qui est visible à l’instant T suffit à faire comprendre au public la mort de ce personnage.

La diatypose permet donc notamment, dans la rhétorique de combat, de faire partager à l’auditoire la stupeur du moment. On perçoit plus simplement les émotions de l’instant parce qu’on reçoit les informations de la même manière que ceux qui assistent à la scène.

Ce court récit nous permet donc de vivre la violence de la situation.

La force du récit dans le discours

A travers ces 2 figures, on comprend toute la force du récit dans la rhétorique.

Il est ici question de l’importance du pathos dans l’entreprise de persuasion de l’auditoire. Le récit apparaît alors comme un moyen efficace d’y faire appel. En donnant à voir à l’auditoire, on lui fait partager le moment que l’on évoque, on comprend les émotions ressenties. La diatypose montre d’ailleurs qu’il n’est parfois pas nécessaire de s’étendre pour faire apparaître une image forte.

C’est  bien dans la description que l’on peut apprécier la qualité d’ un orateur, dans la sélection des faits et des détails à laquelle il se livre pour obtenir l’effet souhaité …et sur ce plan  comme sur les autres, le président Ukrainien a montré au monde son réel talent !

 

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