Rapport du Club des juristes sur la responsabilité de l’arbitre

Publié le 08/06/2017

Les projets de traités de libre-échange négociés par l’Union européenne avec les États-Unis et le Canada ont donné lieu à une focalisation de critiques, aussi inattendues qu’inédites, sinon injustes, sur la place de l’arbitrage dans le règlement des différends entre investisseurs et États. Plus généralement, l’arbitrage vit actuellement une crise de réputation. Compte tenu de l’impressionnant développement de l’arbitrage ces dernières décennies, il n’est guère surprenant d’observer une augmentation du nombre d’affaires dans lesquelles la responsabilité des arbitres est mise en cause. Il est probable que cette tendance se confirme dans les prochaines années. À ce jour pourtant, le régime de la responsabilité des arbitres comporte toujours une large part de mystère. Or, si « tant vaut l’arbitre tant vaut l’arbitrage », il semble nécessaire que les parties puissent savoir dans quelle mesure elles peuvent engager la responsabilité des arbitres lorsqu’elles sont insatisfaites de l’arbitrage. De même, les arbitres doivent également être informés des risques auxquels ils s’exposent s’ils n’exécutent pas leur mission. De récentes affaires ont au demeurant révélé l’importance des enjeux : pour ne citer qu’un exemple, par un arrêt du 31 mars 2015, la cour d’appel de Paris a condamné des arbitres qui avaient rendu leur sentence hors délai, à la restitution de plus d’un million d’euros d’honoraire. Le cas Tapie/CDR est également à l’esprit de tous.

Dans ces circonstances, le Club des juristes a décidé en mars 2016 de constituer une commission afin de participer au débat suscité par la responsabilité des arbitres et dresser l’état de la question de la responsabilité civile, pénale et disciplinaire de l’arbitre, en droit français et en droit comparé.

En réalité, si cette question peine à trouver une réponse consensuelle, c’est d’abord parce que le principe même de la responsabilité des arbitres est sujet à discussion. On peut estimer que l’arbitre devrait, à l’image du juge, bénéficier d’une immunité pour accomplir sa mission juridictionnelle. Il ne serait assurément pas sain qu’il puisse voir sa responsabilité engagée en cas de « mal jugé ». Doit-il bénéficier d’une immunité absolue, la sentence seule pouvant être attaquée ? Ne serait-ce pas oublier que l’arbitre, en tant que prestataire de services, doit répondre de la qualité du service fourni ? On ne voit pas a priori pourquoi l’arbitre qui refuserait de rendre une sentence, ou qui aurait manqué de façon volontaire à son devoir d’impartialité, mériterait une protection absolue. Face à ces considérations concurrentes, les droits nationaux semblent faire des choix très différents. Entre l’immunité absolue prêchée par certains et la responsabilité de droit commun défendue par d’autres, la recherche d’une ligne directrice s’avère bien délicate, comme en témoigne la disparité du droit comparé.

Le droit de la responsabilité de l’arbitre fournit en effet, au-delà de sa fonction de régulation des comportements individuels, un indicateur de la confiance accordée à l’arbitrage en tant qu’institution. La question est également d’importance pour l’attractivité de la place de Paris, en tant que pôle d’excellence de l’arbitrage international.

L’objectif de la commission ad hoc du Club des juristes était alors d’éclairer le droit positif de la responsabilité des arbitres en France avant de déterminer, au regard notamment des choix opérés par les droits étrangers, si le régime actuellement proposé ne devrait pas être précisé ou modifié. Au terme de cette étude, la commission ad hoc du Club des juristes considère que le droit français offre un système équilibré, en évitant en amont que l’arbitrage ne soit paralysé par les recours abusifs au juge judiciaire, tout en ménageant en aval la faculté d’engager la responsabilité de l’arbitre lorsque celui-ci a manqué de façon grave à ses devoirs et obligations. En ce sens, le droit français de la responsabilité de l’arbitre apparaît plus vertueux que les droits de common law qui reconnaissent expressément à l’arbitre une immunité quasi totale.

Le rapport du Club des juristes formule plusieurs propositions afin de préciser et d’améliorer le régime actuel. S’agissant par exemple des clauses limitatives de responsabilité civile, le rapport propose que leur validité soit expressément reconnue dans les limites du droit commun. En matière de responsabilité pénale, le rapport préconise de réserver au ministère public, le temps de la procédure arbitrale, l’exercice de l’action publique en raison d’une infraction commise par l’arbitre dans le cadre de sa mission. Par ailleurs, le rapport déplore l’absence de système de responsabilité disciplinaire dans le paysage juridique français. Le rapport de la commission du Club des juristes conclut que la mise en place d’une association, distincte des centres d’arbitrage, chargée d’assurer le contrôle disciplinaire des arbitres serait bénéfique pour l’ensemble des acteurs de l’arbitrage, en permettant notamment d’éviter que le recours aux juridictions étatiques ne soit dévoyé.

Le groupe de travail du Club des juristes se composait comme suit :

Président :

— Jean-Yves Garaud, associé, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton

Membres :

— Jean-Pierre Ancel, président de chambre honoraire, Cour de cassation,

— Grégoire Bertrou, associé, Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom

— Sébastien Besson, associé, Lévy Kaufmann-Kohler

— Thomas Clay, professeur, université de Paris-Saclay (Versailles Saint-Quentin)

— Alexis Foucard, avocat, Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan LLP

— Jacob Grierson, associé, McDermott Will & Emery

— Emmanuel Jolivet, conseiller général de la Chambre de commerce internationale et de la Cour international d’arbitrage

— Georges Jourde, associé, Veil Jourde

— Elie Kleiman, associé, Freshfields Bruckhaus Deringer

— Fernando Mantilla-Serrano, associé, Latham & Watkins LLP

— Didier Rebut, professeur, université de Paris 2 Panthéon-Assas

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