Refaites le tableau !

Publié le 15/07/2022

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps. BGF

« Le Titien avait réalisé un Saint Sébastien « de grandeur naturelle » commandé pour l’église Saint-Nazaire-et-Saint-Celse de Brescia. Le représentant du duc de Ferrare lui suggéra de lui offrir cette toile plutôt que de la donner à des prêtres. Ce que le peintre récusa. « Refaites le tableau avec quelques changements », lui suggéra le Ferrarais. Le Titien ne céda pas. Le duc insista. Comment le lui refuser ? Finalement, le duc, pris de scrupules, fit savoir au peintre qu’il se serve bien dans le travail fait pour lui. Il lui rappelait seulement « cette tête qu’il commença pour nous avant de quitter Ferrare ».

« De quelle tête ou plutôt de quel portrait s’agissait-il ? Toute cette correspondance entre le duc, Titien et Tebaldi qui, pendant plusieurs années, presque au jour le jour, nous montre aux prises le grand seigneur autoritaire, le fonctionnaire faisant du zèle, l’artiste intéressé et prudent, est remplie de détails piquants qui mettent bien en jour les contrastes de leurs caractères. Par malheur, les peintures qui en font l’objet n’y sont jamais désignées que par les expressions les plus vagues. En tout cas, ni ce portrait, ni la composition pour laquelle Titien avait réclamé une toile, n’étaient achevés à l’Ascension, pas même à la Pentecôte. N’avait-il pas fallu livrer le grand triptyque de Brescia, aller à Conegliano décorer la façade d’une confrérie, faire semblant de travailler aux peintures du palais ducal ? Au mois de décembre 1521, Alphonse fit inviter le peintre à venir passer près de lui les fêtes de Noël, mais celui-ci se dérobait encore, lorsque Tebaldi eut tout à coup une inspiration lumineuse : il se souvint qu’en mainte occasion Titien avait manifesté son regret de ne point connaître Rome, et lui dit d’un air négligent : C’est dommage, car je tiens pour certain qu’aussitôt le nouveau pape élu (Léon X venait de mourir), Son Excellence ira lui rendre hommage. Si vous vous trouviez à Ferrare, à ce moment, il vous emmènerait avec lui ; sinon vous pensez bien qu’il ne restera pas à vous attendre ». (À suivre)

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