Sortilèges de flûte pour Elles

Publié le 10/10/2024

Alpha Classics

Ce fascinant album propose un florilège d’œuvres pour flûte, composées ou inspirées par des femmes. Dans le domaine chambriste, les compositrices françaises s’y sont largement illustrées dès le début des années 1900. Ainsi de Cécile Chaminade (1857-1944) et son Concertino pour flûte et piano, op.107 (1902), dédié à Paul Taffanel, éminent interprète, fondateur de l’école française de flûte. D’un seul tenant et en quelque huit minutes, il fait passer l’auditeur de gammes virtuoses à un animato fantasque conclu par une cadence, et une coda virevoltante. La Sonate pour flûte et piano de Mel Bonis, de 1904, se veut plus ambitieuse. C’est un bijou d’élégance dans ses quatre mouvements : Andantino mystérieux et mélancolique, suivi d’un aérien scherzo de climat mendelssohnnien, d’un intense et passionné Adagio d’obédience debussyste et d’un brillant finale Modareto puis Grazioso. Quelque quarante ans plus tard, en 1943, la compositrice Claude Arrieu (1903-1990), élève de Marguerite Long, conçoit sa Sonatine pour flûte et piano, d’un néoclassicisme raffiné, typique de l’école française de l’époque des Poulenc, Auric ou Sauguet. Créée par Jean-Pierre Rampal, elle fait se succéder un Allegro moderato insouciant et rêveur, un Andantino charmeur et un Presto divertissant, espiègle avec ses notes tournoyantes répétées. La compositrice Lise Borel (née en 1993) écrira en 2023, pour Mathilde Calderini, Miroir pour flûte et piano. Cette courte pièce est conçue en trois volets : un soliloque dévolu à la seule flûte, s’élevant dans sa mélopée sinueuse, puis un passage où la flûte est accompagnée de la main droite au piano, délicat contrepoint, enfin un duo où s’épanouit l’harmonie.

L’écriture pour flûte et piano a aussi fertilisé l’imagination de deux musiciens français célèbres, pour qui la femme est l’inspiratrice. En composant « La Fille aux cheveux de lin », huitième de ses Préludes pour piano (1910), Debussy fait référence à un personnage à la beauté préraphaélite du poème de Leconte de Lisle. La transcription pour flûte et piano renforce le caractère élégiaque de sa mélodie archaïsante. Celle, due à Karl Lenski, des Six épigraphes antiques, œuvre écrite pour deux pianos (1914), retrouve sans nul doute l’esprit du singulier projet d’origine de musique de scène, destinée à accompagner la déclamation des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs, où Debussy associait alors deux flûtes, deux harpes et le célesta. La pièce Syrinx pour flûte solo évoque, elle aussi, une figure féminine, une nymphe séduite par le dieu Pan. Francis Poulenc a conçu sa Sonate pour flûte et piano (1957) sur une commande de la Fondation Elizabeth Sprague Coolidge, du nom de la mécène américaine, protectrice de tant de compositeurs du XXe, disparue en 1953, à la mémoire de laquelle elle est dédiée. Le musicien y célèbre un retour au néoclassicisme tout en empruntant aux harmonies de son opéra tout juste contemporain Dialogues des carmélites. L’œuvre respire le charme mélodique aisé de l’auteur tout comme elle évoque sa veine duelle « moine et voyou » : la première dans l’Allegro malinconico, aussi mélancolique que radieux, et à l’heure de la Cantilena, dont le ton grave rappelle celui des interventions de Sœur Constance dans l’opéra, la seconde durant le Presto giocoso final, empli de fantaisie, cachant aussi quelques conflits.

La flûtiste Mathilde Calderini, supersoliste au Philharmonique de Radio France, enlumine ces musiques, pour elle autant de coups de cœur. Cela se ressent à chaque morceau : une sonorité franche autant que raffinée, au service d’un large panel de nuances et toujours d’une grande expressivité. Elle fait équipe avec le pianiste Aurèle Marthan dont le toucher subtil pare l’accompagnement de discrétion alliée à un sens inné du faire-valoir de sa partenaire.

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