Syndrome de Stockholm ?
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Mercy Short, Mary Jemison, Patricia Hearst. Ces trois femmes ont en commun d’avoir été enlevées, arrachées à la vie qui leur était destinée, de manière extrêmement brutale, et d’avoir radicalement changé à l’occasion de cet événement. De jeunes filles couvées, elles sont devenues rebelles, acquises à la cause qui les a tenues en otage. Syndrome de Stockholm, ont scandé les médias et la population ! Vraiment ? Est-ce ceci ou quelque chose de plus profond qui s’est joué ? C’est la question que se pose Lola Lafon dans son dernier ouvrage : Mercy, Mary, Patty.
Le roman s’organise autour de trois voix : « Vous », Gene Neveva, universitaire radicale, qui a été appelée par l’avocat de Patricia Hearst afin d’analyser les événements et de rédiger un rapport qui confirmera la thèse du lavage de cerveau permettant ainsi d’éviter à la jeune femme la prison. « Elle », Violaine, l’assistante adolescente de Miss Neveva qui l’aidera, pendant deux courtes semaines à démêler le dossier, qui écoutera patiemment les bandes sonores, témoins des messages de Patricia Hearst à l’attention de ses parents et de la société toute entière, qui subira les sautes d’humeur de Gene Neveva tout en lui vouant une admiration aveugle. Et « Je », chercheuse qui a grandi autour de Violaine, baignée par l’aura persistante d’une Gene Neveva sublimée par les souvenirs, qui part sur les traces de Patricia Hearst.
Lola Lafon dresse un portrait tout en nuances de Patty Hearst, cette adolescente, riche héritière d’un magnat de la presse américain, prise en otage qui finit par braquer une banque aux côtés de ses ravisseurs. Son procès fut l’occasion d’élaborer toutes les théories pour expliquer son comportement : manipulation, endoctrinement, l’opinion publique s’émeut d’avoir été trahie par son enfant chérie qu’elle a défendue avec ferveur. Mais la thèse la plus probable, que Gene Neveva peine à admettre, mais qu’elle et Violaine percent à jour au fil de l’écoute des messages publics adressés par Patricia Hearst, est, qu’en réalité, celle-ci a été libérée par ses « tortionnaires » et qu’elle n’a pas voulu retourner dans la prison qu’était son propre foyer. Elle n’avait plus besoin d’être sauvée, elle l’était déjà ! Libre de penser, libre d’émettre des opinions qui ne sont pas celles que l’on attend d’elle, libre de défendre d’autres personnes qui ne le sont pas. C’est ainsi qu’elle livre d’une voix tonitruante « Personne ne sera libre tant que nous ne serons pas tous libres » !
Et en miroir, le phénomène se déroule sous nos yeux… On observe Violaine devenir captive d’une Gene Neveva, dont on ne sait jamais si elle manipule son assistante ou si elle la pousse à sortir des sentiers battus, tirant ou relâchant la bride à l’envi, cette Violaine qui appartient corps et âme à Gene Neveva et qui pourtant se libère des chaînes qui lui étaient destinées, se plaçant de fait dans la position d’une incomprise, d’une marginale. Violaine qui comprend avant Miss Neveva ce qui se joue dans la tête de Patricia Hearst.
Ce roman, c’est celui de la libération d’une femme — et par son biais, de toutes les femmes —, sous les yeux incrédules d’une société qui ne veut pas y croire et qui lui cherche toutes les excuses plutôt que d’admettre que cette jeune fille a construit elle-même sa pensée.
Mercy, Mary, Patty, c’est aussi la vision crue de ce dont est capable un gouvernement pour éviter les dissensions, notamment tirer tous azimuts, multiplier les dommages collatéraux pour faire taire une poignée de militants qui demandaient que tout le monde puisse manger à sa faim…
La leçon est un couperet : être libre c’est souvent passer pour un fou aux yeux de ceux qui ne le sont pas ou être réduit au silence.
Lola Lafon nous livre ici un roman fort, essentiel, qui porte un regard oblique sur ce qui a fait vibrer l’Amérique au cours d’un procès retentissant. Un livre qui donne envie de briser nos chaînes.