Un magnifique cabinet de livres

Publié le 17/07/2024

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) fut nommé en 1846, bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile parues en 1861. Cet ouvrage se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (la comtesse de Ranc… [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des lettres. Nous poursuivons la publication de la Lettre XIII consacrée à « De Boze ».

«Lorsque je lui [l’abbé Barthélémy à de Boze] présentais un aperçu de mon travail, j’avais beau l’avertir que je l’avais tracé à la hâte, comment pouvais-je échapper à la sévérité d’un censeur qui mettait les points sur les i, moi qui souvent ne mettais pas les i sous les points ! II s’impatientait d’un mot déplacé, s’effarouchait d’une expression hardie. Tout cela se passait avec assez de douceur, quelquefois un peu d’humeur de sa part, avec une extrême docilité de la mienne : car je sentais et sens encore que sa critique m’était nécessaire. 

Ces détails sont charmants ! Ne voyez-vous pas d’ici, Madame, cet excellent M. de Boze, touché d’une certaine faiblesse à travers sa grande érudition, niveler avec soin ses beaux livres sur leurs tablettes, et y replacer, ne fût-ce que pour une heure ou deux, ceux qui étaient restés ouverts sur le bureau ? Et l’abbé Barthélemy, qui appelle cela tantôt de l’ordre, gardons-nous d’immoler nos propres goûts à une mauvaise plaisanterie. Si l’abbé Barthélemy n’était pas un bibliophile à la manière de de Boze, ce n’était pas non plus un de ces hommes de lettres qui ne regardent les ouvrages d’autrui que comme des instruments pour composer les leurs. Il était, au fond, lui aussi, du plus au moins, un amateur de livres, et son catalogue est assez fréquemment cité par les bibliographes, notamment par celui qui fait avant tous autorité dans la matière, par M. Brunet [Jean-Charles (1780-1867), auteur du Manuel du libraire et de l’amateur de livres]. Mais reprenons notre héros, c’est de Boze que je veux dire, et, à notre tour, considérons-le par le côté que nous avons résolu d’examiner, par le côté de la bibliographie, ou plutôt de l’amour des livres proprement dit et de la propreté, tantôt une laborieuse exactitude ! Il ne comprend pas la chose, ce pauvre abbé Barthélemy, on voit bien qu’il n’était tout simplement qu’un savant distingué, un écrivain plein de charme, un homme enfin du plus admirable talent, et pas le moins du monde un bibliophile.

Ne perdons toutefois ici aucun de nos avantages, De Boze avait donc, ainsi que le dit Barthélemy, un magnifique cabinet de livres, et aussi complet que peut l’avoir un simple particulier qui ne jouit pas d’une fortune hors de ligne. Ce cabinet, comme tous les cabinets d’amateur, au moyen de la réunion, du rapprochement des livres précieux, présentait plus d’intérêt que ne le font les grandes bibliothèques publiques, où les ouvrages d’élite se trouvent dispersés, noyés dans d’immenses œuvres secondaires ». (À suivre)

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