Un pain de sucre négligé
« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912), dans son ouvrage intitulé : Truc et truqueurs, au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été, consacré au faux en tout genre. Nous poursuivons l’histoire de la tiare, véritable sujet rocambolesque.
« Rappelons-nous qu’il fut proposé, en 1896, au musée de l’Ermitage, un lot d’objets archéologiques dont un casque en or en forme d’œuf. Il pesait 460 grammes d’or et était somptueusement revêtu d’ornements et de figures en relief sur toute sa surface. Une inscription indiquait qu’elle avait été offerte par la colonie d’Olbia au roi scythe. Elle séduisit un historien qui l’acquit pour le musée de Berlin, mais la reconnue fausse et la renvoya. Quelques mois plus tard, deux antiquaires la proposèrent au Louvre où les archéologues l’admirèrent.
En mars 1896, les deux courtiers débarquaient à Paris et se faisaient adresser, par M. Laferrière, alors président du Conseil d’État, à MM. Kaempfen et Héron de Villefosse. Après examen approfondi de la part de ces deux savants, la tiare fut présentée au conservatoire du Louvre, qui en vota l’acquisition pour 200 000 francs.
Disons, pour les curieux, que la docte assemblée se composait de MM. Kaempfen, président, directeur du musée et de l’école du Louvre ; Héron de Ville-fosse, Michon, Ravaisson-Mollien, antiquités grecques ou orientales ; Lafenestre et Benoist, peinture ; Michel et Molinier, Renaissance ; Pierret et Revillout, antiquités égyptiennes ; Ledrain, Assyrie ; Benedite, musée du Luxembourg ; Bertrand et Salomon Reinach, musée de Saint-Germain. Le Conseil des musées qui approuva l’acquisition comprenait : MM. Bonnat, Renner, Barrias, Collignon, Roujon, Gonse, Aynard et Franck-Chauveau. L’argent nécessaire au paiement fut avancé par MM. Corroyer et Théodore Reinach.
Vogel toucha la somme en deux fois, signa les reçus de son nom et de son adresse, et, véritable « oiseau de passage », s’envola à tire-d’aile. Il versa, avoua-t-il plus tard à un journaliste, 86 000 francs à Hochmann, 40 000 à Szymansky et garda pour ses soins 74 000 francs ; une petite fortune. La tiare fut déposée au Louvre, où son arrivée, dans la salle des antiques, à côté des bijoux Campana, ne causa pas la moindre émeute. Bien plus, le public parut ignorer l’existence de cette perle de nos richesses artistiques. La grande salle des bijoux antiques continua à étaler ses vitrines dans le vide. Les rares visiteurs passaient sans s’arrêter devant cette couronne en pain de sucre, et l’étiquette « tiare offerte au roi Sartapharnès par le Sénat et le peuple d’Ohbia » n’éveillait dans l’esprit des masses aucun souvenir historique. Il n’en fut pas de même à l’étranger » (À suivre).
Référence : AJU014b7