Un Titien est digne d’être servi par un César

Publié le 23/08/2024

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Nous poursuivons cet été la description qu’il en fit de Titien et les princes de son temps.

Titien, Portrait équestre de Charles Quint à Mühlberg

« Tout le monde connaît l’histoire du pinceau ramassé : un jour que l’empereur, assis dans l’atelier de Titien, le regardait peindre, le vieux maître laissa tomber, du haut de son échafaudage, un de ses pinceaux à terre, et Charles-Quint s’empressa de le ramasser pour le lui rendre. Comme Titien descendait en hâte pour s’excuser, en lui disant qu’il ne méritait pas cet honneur :  » Un Titien, lui répondit-il, est bien digne d’être servi par un César ».

Quoi qu’il en soit de l’authenticité de ces légendes, ce qui est certain, c’est que Charles-Quint donna, jusqu’à son dernier jour, à Titien, des preuves effectives de son admiration. Lors de ce premier voyage à Augsbourg, il lui doubla sa pension de Milan en prenant des mesures pour qu’elle lui fût payée intégralement. Son amitié multiplia les attentions, trois ans après, lorsqu’il lui imposa de nouveau la fatigue d’un séjour hivernal dans ce dur climat. À ce moment, Charles-Quint, malade, dégoûté, plus triste que jamais, mûrissait déjà la résolution de quitter le monde. Il demanda à Titien de lui faire une composition allégorique dans laquelle seraient exprimées toutes ses désillusions mondaines en même temps que sa soif immense de bonheur et de repos. Titien lui proposa de lui représenter la gloire de la cour céleste avec la Trinité, les vierges, les patriarches, les prophètes, les évangélistes, s’ouvrant à ses désirs et à ses pénitences ainsi qu’à ceux des êtres qui lui étaient le plus chers, sa femme Isabelle, sa sœur Marie, son fils Philippe.

L’étude de ce projet, qui devint le tableau de la Trinité, donna lieu à de fréquentes conférences. Avant que Titien ne quittât Augsbourg, l’empereur lui assigna, au nom de son fils Philippe, une nouvelle pension de 500 écus. Deux ans après, en 1553, comme il se trouvait en Flandre, le bruit ayant couru de la mort du Titien, il s’empressa d’écrire à Vargas, son ambassadeur ; nous avons le rapport de ce dernier, qui le tranquillise en l’informant que, non seulement le peintre est en vie et en bonne santé, mais qu’il travaille activement pour lui et qu’il a été profondément touché de sa sollicitude. Lorsqu’il se décida enfin à abdiquer, en 1555, il ne voulut point renoncer tout à fait aux joies de l’art : il emporta, dans sa solitude de Saint-Just, toutes les peintures de Titien qui pouvaient convenablement entrer dans cette pieuse retraite, trois portraits et six tableaux religieux ». (À suivre)

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