Antigone et les Dakh Daughters

Publié le 18/12/2018

Maxim Dondyuk

Lucie Berelowitsch revisite l’Antigone de Sophocle, qui a donné lieu à tant d’écritures et d’adaptations : elle ose et elle réussit.

Ayant commencé ses études de théâtre au Conservatoire de Moscou, elle s’est installée en France, fondant sa propre compagnie et signant des mises en scène peu banales, comme sa Lucrèce Borgia tout juste récemment.

Elle s’empare ici d’une autre figure féminine, victime elle aussi de sa famille ; elle la transporte dans notre époque, faisant appel à la troupe « Drôles de dames », un groupe de sept filles qui ont formé en 2012, au théâtre Dakh à Kiev, un célèbre cabaret punk : les « Dakh Daughters ».

Aussi douées en composition musicale, chant et comédie, elles changent aisément d’instruments (une quinzaine au total) et de langues ; ici l’ukrainien, le russe et un peu de français. Elles mêlent folk, soul, rock, reggae… Elles se veulent provocatrices et peuvent se le permettre, car elles sont très douées, rejoignant les grands fauves trop rares aujourd’hui.

Lucie Berelowitsch fait du cabaret-punk le chœur de la tragédie antique, devenue tragédie de notre XXIe siècle égaré…

D’emblée, ce spectacle fascine par un rythme passionnel à son paroxysme, une sorte de fureur musicale et théâtrale. La beauté du texte, travaillé à partir de Sophocle et de Brecht, la composition musicale des Dakh Daughters et de Vlad Troitskyi, ce personnage haut en couleur à l’origine de cette scène alternative, la fatalité grandiose et violente des chants envoûtent et bouleversent.

Tout est à la fois intelligent, subtil et respectueux de la grandeur antique, ici transfigurée. Le cabaret punk a participé à la révolution de Maïdan, en 2014, et reste engagé dans les combats  qui déchirent la société ukrainienne.

Des femmes en lutte pour la justice et la paix, dont la force et le talent sont le meilleur atout pour la cause des femmes : Antigone et la touchante Ismène sont quand même d’une autre trempe que leurs frères s’entretuant pour le pouvoir, que Créon, le tyran borné ou qu’Hémon, le trop brave garçon.

Cette Antigone prend aux tripes. Outre les Dakh Daughters, les comédiens sont excellents, dont Chrystyna Fedorak dans le rôle titre et Roman Yasinovskiy, un Créon façon Shakespeare. On regrettera la longueur du monologue de Tirésias, qui ralentit le rythme dense et précipité de la première partie et qui n’est pas assez accompagné de prestations musicales et chantées du groupe. Elles ont tant de talent…!

LPA 18 Déc. 2018, n° 141j7, p.16

Référence : LPA 18 Déc. 2018, n° 141j7, p.16

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