Babushka

Publié le 17/01/2019

Fayard

Peu importe son petit nom, la langue utilisée pour communiquer avec elle, ses origines, vos origines, elle est bien souvent la figure centrale de la famille, celle qui réchauffe les cœurs, sauve les parents en détresse, soigne, panse les âmes… c’est la figure tutélaire dans bien des familles, présente, disponible, aimante, la nonna, la babushka, ou bouba : c’est elle, la grand-mère ! Certaines d’entre elles auront marqués nos vies d’une empreinte indélébile.

Celle de Robert Badinter se prénommait Idiss, et c’est son destin qu’il a souhaité retracer dans son dernier livre, sobrement intitulé : Idiss. Le destin de cette femme d’exception, analphabète, qui surmonta bien des épreuves, grâce à sa seule force de caractère, afin que sa famille puisse vivre dignement dans un pays qui n’était pourtant pas le sien.

Idiss est née en 1863 dans un pays aujourd’hui disparu, le Yiddishland, région de l’Europe centrale qui s’étendait des pays Baltes à la Mer noire et de l’Empire allemand jusqu’à la Russie, la Bessarabie. Aujourd’hui territoire de la Moldavie, cette terre était le berceau de plus de 11 millions de juifs qui y vivaient, réunis par une culture et une même langue, le yiddish.

« Aujourd’hui ayant franchi son âge, je rêve à son passé qui est un peu le mien. Il m’émeut, mais j’en souris aussi, comme si un conteur d’histoires était assis devant moi et évoquait le destin de ma grand-mère, dans sa langue dont les accents ont bercé mon enfance » (p. 11) ; nous suivons donc le parcours de cette femme, et remontons le temps et l’histoire…

Robert Badinter se fait le conteur de cette trajectoire, de ce destin singulier et pourtant si commun à tous les immigrés juifs de l’Empire russe, venus à Paris avant la Révolution russe. Il y a quelque chose dans l’écriture qui reflète cette âme slave, faite de mélancolie et d’espoir, de croyances et de volonté, qui nous touche en plein cœur. Robert Badinter a su garder son regard d’enfant quand il évoque Idiss ; sa plume est fluide et limpide.

L’amour filial qu’il porte à cette femme, déjà âgée, pieuse et dotée d’une volonté de fer, transpire à chaque page. Mais cette dévotion n’empêche pas le réalisme des personnages et des situations de transparaître par des détails, des petits défauts des uns et des autres…

On nous parle d’un temps que les plus jeunes ne peuvent connaître. Il s’agit d’un temps – d’une époque – où les us et coutumes n’étaient pas les mêmes, où la place des femmes était réduite à bien des égards, mais où le savoir et la République n’étaient pas de vains mots.

Ce récit est doté d’informations riches et documentées sur la vie dans le « shtetel », le ghetto en Bessarabie, mais aussi sur l’état d’esprit qui régnait chez les juifs immigrés à Paris durant l’entre-deux-guerres.

Là, Robert Badinter fait appel à sa mémoire, mais aussi à celle de ses proches, pour restituer l’ambiance de la capitale lors de la défaite de l’armée française et les premiers temps de l’Occupation et du régime de Vichy. Des documents, ainsi que des textes de lois ou décrets sont ajoutés en annexe, ce qui rend encore plus juste ce récit.

À n’en pas douter, ce livre est une belle page d’amour vouée à Idiss, qui a façonné de la plus belle des manières l’homme qu’est aujourd’hui Robert Badinter…

LPA 17 Jan. 2019, n° 142b0, p.16

Référence : LPA 17 Jan. 2019, n° 142b0, p.16

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