Cahiers de la justice, 2019 N°3
Jamais sans doute une inquiétude aussi forte n’avait saisi nos sociétés au sujet de leur environnement.
Vagues de chaleur inédites par leur puissance, migration accrue des « réfugiés climatiques », émission incontrôlée des gaz à effet de serre mais aussi intensification des cyclones et des incendies, effondrement du vivant sauvage et de la biodiversité comme celle de la forêt amazonienne… On comprend pourquoi, devant l’échec des politiques gouvernementales à répondre à ces défis, les acteurs de la société civile ont donné naissance à la cause environnementale.
Pétitions et manifestations expriment une opinion publique mondiale qui exige de modifier une règle du jeu dominée par le marché et les États. C’est ainsi que l’arme du droit, au sens d’une arène publique, devient une ressource privilégiée en faveur de la défense de l’environnement. On voit naître partout dans le monde les « procès climatiques » tantôt contre les États, tantôt contre les entreprises.
Tout se passe comme si seul un débat – et non une décision unilatérale – pouvait démêler la bonne décision en confrontant tous les points de vue. À l’initiative d’avocats militants, des jurisprudences toujours plus nombreuses circulent, deviennent transnationales et alimentent de nouveaux recours. Mû par les citoyens et alimenté par les avocats, le juge s’affirme comme un acteur dans la cité. Il autorise la discussion, favorise la négociation, ce qui rend la légalité plus contestable et l’équité nécessaire. Certains pays comme la Nouvelle-Zélande usent de l’action populaire pour lutter contre les dommages environnementaux.
Cette entrée en scène des tribunaux bouscule les frontières du droit. Voilà que la terre – au sens de la Terre mère – devient une personne dans la constitution de l’Équateur ; que sa représentation en justice est prévue devant un tribunal environnemental doté de jurés agro-environnementaux ; qu’un fleuve devient une personne juridique qui parle de sa « propre voix » et peut agir en justice ; qu’en Inde, le Gange, des forêts et des lacs et même les dauphins, ont le statut de personnes non humaines. Voilà que l’arbre lui-même est dépositaire d’une valeur comme l’avait vu l’ouvrage pionnier de Christopher Stone, Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?
Ainsi un droit vivant, une philosophie du vivre ensemble et une création artistique novatrice dessinent la conscience d’un destin commun. Reste à savoir quand et comment les gouvernants prendront la mesure de cette sensibilité collective qu’expriment avec force les habitants de la terre…