Camille Claudel et Paul Claudel, le rêve et la vie

Publié le 06/12/2018

Camille Claudel, Mon Frère ou Jeune Romain (détail), après 1882.

Artcurial

Paul Claudel naquit il y a 150 ans. Pour marquer cet anniversaire, le musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine a souhaité parler des liens particuliers qu’entretenaient la sœur et le frère, liens qui semblent avoir été complexes, mais qui se révèlent dans leurs œuvres respectives. Des liens entre sculptures et textes, soulignant des partis pris esthétiques et des sources d’inspiration communes. Ce qui nous permet d’approcher les œuvres de la sculptrice avec un œil neuf et de découvrir un frère très attentif aux créations de sa sœur…

Les liens qui unirent Camille et Paul Claudel sont de l’ordre de la complicité, de la bienveillance et de l’échange. Chacun connait le destin tragique de Camille Claudel, et il a suscité un sentiment d’incompréhension, principalement au sujet de son internement en hôpital psychiatrique. Certains ont cherché des responsables quant aux causes du basculement de sa vie. Certains ont accusé Paul Claudel d’avoir été malveillant, voire lâche. Nous savons maintenant que la maladie mentale de Camille Claudel nécessitait une hospitalisation et que son frère eût la meilleure attitude possible. À la mort de sa sœur, il s’engagea pleinement pour faire connaître son œuvre.

Il n’est donc plus logique aujourd’hui d’opposer Camille Claudel et Paul Claudel, tant ils furent proches. Camille partagea continuellement avec son frère ses idées, son enthousiasme, ses difficultés, ses craintes ou sa révolte. Paul Claudel parla du travail de sa sœur en poète, de façon intelligible et sensible, où l’inconscient a sa part. Il accorda sa plus grande attention, par exemple, aux sculptures Sakountala (ou L’Abandon), Persée et l’Âge mûr. Les mots du poète accompagnèrent toujours les sculptures de Camille. La présente exposition nous permet de saisir ces liens sensibles et intellectuels ainsi que l’importance de leurs échanges.

Paul Claudel répugna toujours à parler de ses troubles intimes, sans pour autant nier leur existence. Le plus prégnant fut celui du destin de sa sœur. Les traces de ses troubles apparaissent dès L’Endormie, sa première pièce, jusqu’au Soulier de Satin. Car à travers ses pièces, l’écrivain parle de lui-même et des femmes qu’il aima ou rêva. Sa sœur Camille fut la première femme, l’initiatrice. Car dès l’enfance, Camille et Paul se trouvèrent en contact avec la beauté de l’art et de la littérature, et avec cette force et cette volonté enthousiaste pour la vie créatrice. Ils reçurent une même culture de base, lisèrent les mêmes livres. Camille initia son jeune frère aux textes classiques : Aristophane, Eschyle ou les épopées du Moyen-Âge. Elle l’entraîna à la fois dans l’imaginaire et le concret, le rêve et la vie.

Paul Claudel nous dit, dans Mémoires improvisées : « Et puis alors s’est produit le cataclysme dans la famille. Ma sœur trouvant qu’elle avait une vocation de grande artiste (ce qui était malheureusement vrai), ayant découvert de la terre glaise, elle avait commencé à faire des petites statues qui ont frappé M. Alfred Boucher, le statuaire ; alors ma sœur, qui avait une volonté terrible, a réussi à entraîner toute la famille à Paris, elle, voulant faire de la sculpture, moi, à ce qu’il paraît, ayant une vocation d’écrivain, mon autre sœur de musicienne… une catastrophe dans ma vie, parce que toute ma vie a été déchirée en deux ».

Dans un article de 1905, intitulé : « Camille Claudel statuaire », le frère déclarera également : « Des critiques irréfléchis ont souvent comparé l’art de Camille Claudel à celui d’un autre dont je tais le nom. En fait, on ne saurait imaginer opposition plus complète et plus flagrante. L’art de ce sculpteur est le plus lourd et le plus matériel qui soit… L’art de Camille Claudel, dès le principe, éclate par les caractères qui lui sont propres. On voit se donner magnifiquement carrière l’imagination la plus forte et la plus naïve, celle qui est proprement le don d’inventer. Son génie est celui des choses qu’elle est chargée de représenter. L’objet sculptural, pour elle, est ce qui est devenu susceptible d’être détaché, cela qui peut être cueilli, actuellement possédé entre des mains intelligentes ».

LPA 06 Déc. 2018, n° 139u8, p.15

Référence : LPA 06 Déc. 2018, n° 139u8, p.15

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