Lectures d'ici et d'ailleurs

Changement climatique et droit privé

Publié le 04/11/2019

M. Hautereau-Boutonnet et S. Porchy-Simon (dir.), Le changement climatique, quel rôle pour le droit privé ?, Dalloz, 2019, 278 p.

Cet ouvrage collectif, qui porte publication d’un colloque organisé à Lyon (université Jean Moulin-Lyon 3) en octobre 2018, est le premier du genre en langue française. Il nous donne à voir la manière dont le droit privé peut traiter des questions liées au changement climatique.

L’ouvrage est structuré autour d’une introduction et de quatre parties (chacune fait l’objet d’un rapport de synthèse).

L’introduction (M. Hautereau-Boutonnet) se présente volontiers comme un plaidoyer : « un droit privé pour le climat ! ». Elle situe le propos autour du droit privé et des grands mouvements qui gouvernent la question : notamment l’Accord de Paris de 2015 et les rapports réguliers du GIEC intervenus depuis 1990. Deux tonalités différentes sont opposées : l’une optimiste où la plasticité du droit privé est de nature à offrir des solutions englobantes, couvrant de nombreux aspects à traiter, l’autre pessimiste tendant à dénoncer la faible efficacité des mécanismes à l’œuvre eu égard à l’ampleur des bouleversements en jeu. Et l’auteur de terminer par un appel engagé : il ne faut pas seulement adapter le droit privé au changement, il faut changer le droit privé pour changer le modèle de société !

La première partie (synthèse de M. Hautereau-Boutonnet) porte sur le rôle des acteurs privés : les sociétés cotées (B. Rolland), les entreprises en situation de concurrence (G. Decocq), les consommateurs (M.-P. Blin-Franchomme), les assureurs (A. Astegiano-La Rizza).

La deuxième partie (synthèse de P. Deumier) traite du rôle des normes de droit privé. L’affirmation d’une nouvelle forme lex mercatoria est envisagée (V. Monteillet), le rôle du contrat dans une perspective de droit interne est étudié (O. Gout), ainsi que celui de la propriété intellectuelle à travers la figure du brevet (E. Treppoz).

Le jeu du droit de la responsabilité constitue la troisième partie (synthèse S. Porchy-Simon). Les canons du droit commun de la responsabilité civile sont mobilisés (S. Porchy-Simon), l’affirmation d’un devoir de vigilance est questionnée (N. Rias), le jeu des mécanismes de responsabilité pénale est étudié (J.-C. Saint-Pau), la question est posée du traitement des questions de responsabilité en droit international privé (O. Boskovic).

La quatrième et dernière partie a trait au rôle du droit des biens (synthèse W. Dross). Le thème est d’abord approché des communautés de protection qui se forment autour de ressources communes (J. Rochfeld). C’est ensuite le modèle même de propriété qui est questionné (B. Grimonprez). Enfin, une contribution est proposée sur le statut de l’immeuble (B. Ballivet).

Sans chercher ici à faire la synthèse des travaux proposés (on renverra volontiers à l’introduction générale et aux différents rapports de synthèse), il est intéressant d’essayer de pointer du doigt les différents types d’entrées qui ont été retenues dans les analyses.

À cet égard, on peut observer que deux tendances se dégagent.

Première tendance : quand l’entrée retenue est générale, c’est-à-dire que le changement climatique n’est pas spécifié et dissocié du thème (devenu) holistique de la protection de l’environnement et de son rapport au droit, on observe que la tonalité de l’analyse juridique porte essentiellement sur d’adaptabilité des solutions de droit privé au changement climatique et leur éventuelle amélioration.

Seconde tendance : quand l’entrée est caractérisée, qu’elle se focalise volontiers sur un aspect du « phénomène » changement climatique, on constate que l’analyse de droit privé s’ouvre à des perspectives de nature à transformer radicalement les approches traditionnelles.

Les deux voies ont chacune leur mérite. La première permet de penser les évolutions au départ des constructions existantes du droit. La seconde permet de poser des hypothèses de travail comme autant de nouveaux champs d’exploration juridique.

Mais une chose est sûre. Si les juristes veulent, notamment en droit privé, participer activement aux discussions sur les grands bouleversements à l’œuvre au titre des changements climatiques, il est indispensable qu’ils posent le phénomène « changement » comme une hypothèse de rupture radicale (quitte à renouer avec des institutions juridiques du passé). La démarche est exigeante. Elle suppose le plus souvent un travail pluridisciplinaire où le droit n’est qu’un élément de connaissance parmi d’autres. L’ouvrage sous compte rendu montre que ce processus est en marche dans la doctrine française de droit privé. On ne peut que s’en féliciter.

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