Voyage en Grèce (XLVI)

Dans la Phocide (III)

Publié le 05/07/2019

Quoi qu’on en dise, la Grèce est notre mère. Les lieux, les pierres et les monuments sont comme un rappel de notre civilisation. René Puaux (1878-1937) publia un Nouveau guide de la Grèce, en 1937, à la Société française d’éditions littéraires et techniques. « L’intérêt de ce livre m’est apparu, un soir d’été, au cours d’une promenade sur l’esplanade du Phalère », disait-il. Il n’avait trouvé dans aucun guide les récits des traditions légendaires du Phalère et son histoire. Il résolut de « rédiger un guide de tout autre ordre, celui du Touriste-Poète », qui ne manque pas d’ironie. Nous poursuivîmes cet été, notre promenade dans la Phocide. BGF

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« Itea. Vous êtes venus à Delphes par la route de Gravia ou par Itea. Distraitement, vous avez noté que ce port était voisin de l’emplacement de l’antique Kirrha ou Crissa et cela vous a laissés indifférents. Vous sourirez quand je vous dirai d’abord que les habitants de cette escale avaient coutume de lever des contributions sur les pèlerins de Delphes, ce qui obligea les Amphictyons à leur déclarer la guerre en l’an 595 avant Jésus-Christ. Vous sourirez parce que les exigences des chauffeurs d’Itea vous auront paru un peu lourdes. Mais ce mauvais souvenir s’effacera en apprenant que Crissa dut son nom au recordman du mauvais caractère. Crisus, déjà nommé, qui commença de se disputer avec son frère jumeau, Panopeus, dans le ventre de leur mère.

Panopeus est le père d’Epeus, le constructeur du cheval de Troie. Crissus est le père de Strophius qui épousa la sœur d’Agamemnon, Anexibie, dont il eut Pylade, qui devait montrer, à l’égard de son cousin Oreste, une amitié fraternelle restée légendaire. Il n’avait pas hérité des instincts querelleurs de son grand-père. La loi de l’hérédité connaît de ces sauts et de ces contrastes.

J’ai mentionné Panopeus. Il a donné son nom à une ville, Panope, qui se trouvait entre Orchomène et Delphes, près de la frontière de Béotie. C’est aujourd’hui Aghios Vlasios. Quand elles venaient en pèlerinage au Parnasse, les femmes de l’Attique avaient coutume de s’arrêter ici et d’y rencontrer des dames venues de Delphes. Les danses et les orgies en l’honneur de Bacchus qui se pratiquaient en ce lieu étonneraient bien le pappas d’Aghios Vlasius, si elles lui étaient contées.

Panopeus était le fils de Phocos, fondateur de la Phocide et d’Asteropée (la pauvre maman que les jumeaux secouaient de leurs pugilats et qui a droit, à ce titre, à une mention de sympathie). Les dames de l’Attique et de Delphes célébraient peut-être ce souvenir en exécutant des danses du ventre, qui avaient donné à Panope une célébrité dont Homère s’est fait l’écho.

Panopeus accompagna Amphitryon dans son expédition contre les Téléboens et fut un des invités à la chasse au sanglier de Calydon. Panope était proche de l’antique Daulis, où eut lieu l’horrible drame à la suite duquel Philomèle fut métamorphosée en hirondelle et sa sœur Progné en rossignol.

Au chapitre consacré à Athènes, j’avais déjà brièvement fait allusion à Progné et Philomèle. Les deux sœurs étaient si tendrement unies que Progné, ayant épousé Térée, roi de Thrace, invita Philomèle à venir la rejoindre. Térée trouva un moyen d’éloigner l’escorte de sa belle-sœur et abusa d’elle. Il lui fit couper la langue et l’enferma dans un château isolé. Progné fit élever un monument à sa sœur qu’on lui avait dit morte au cours du voyage. Un an plus tard, elle reçut un message brodé révélant l’attentat. Profitant d’une fête de Bacchus, elle courut délivrer sa sœur, tua son propre fils Itys, l’offrit en repas au misérable Térée et fit apparaître, au dessert, Philomèle qui jeta la tête de son neveu sur la table ».

(À suivre.)

LPA 05 Juil. 2019, n° 146h7, p.23

Référence : LPA 05 Juil. 2019, n° 146h7, p.23

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