Debussy intime

Publié le 05/12/2018

Harmonia Mundi

Parmi les dix albums publiés en cette année anniversaire Claude Debussy par le label Harmonia Mundi, deux s’imposent dans le registre chambriste. D’abord, une large sélection de ses mélodies où se révèlent le magicien du timbre, le fin coloriste de paysages subtils. Durant toute sa carrière, Debussy en écrira une centaine. Premier cycle, Cinq poèmes de Charles Baudelaire, est composé à partir de « Spleen & idéal » du recueil Les Fleurs du mal. Trois mélodies, sur des poèmes de Paul Verlaine, montrent un souffle vocal et instrumental annonçant Pelléas et Mélisande. L’art des contrastes y est résolument marqué. Avec les Chansons de Bilitis, Debussy aborde la poésie de Pierre Louÿs. Trois évocations où à un certain archaïsme du propos fait écho une belle simplicité de la vocalité. Les deux recueils qui constituent Les Fêtes galantes ont été composés à plusieurs années d’intervalle. Dans le premier, on trouve tous les ingrédients de l’art debussyste : l’inspiration mélodique, la spontanéité dans le chant et l’accompagnement pianistique, une atmosphère de clair obscur d’une sereine mélancolie, écrin d’une poétique d’un raffinement extrême. Le second recueil voit une évolution significative du style du musicien dans le dessin musical. Celle-ci se concrétise encore avec Trois chansons de France qui mettent en musique Charles d’Orléans et Tristan L’Hermite. Autre regard vers la poésie du passé, les Trois ballades de François Villon se signalent par l’intensité de la déclamation tout autant que par la discrétion de l’écriture pianistique. La même année, paraît Le promenoir des deux amants, de nouveau sur des poèmes de L’Hermite, d’un grand raffinement prosodique. Encore manifeste dans Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé. Pour ce  dernier cycle, Debussy est séduit par l’abstraction de la poétique mallarméenne qui rencontre ses propres préoccupations, illustrées avec le poème symphonique Jeux. L’album propose encore un choix exhaustif de mélodies isolées sur les poèmes  d’auteurs divers, notamment de l’écrivain Paul Bourget.

L’interprétation est confiée alternativement à une voix de femme et une voix d’homme. Sophie Karthäuser possède la couleur du soprano lyrique pas trop charnu lui permettant de distiller la subtile poétique de ces pièces, l’art du dire à demi mot ou encore de se confronter aux vastes écarts dynamiques. Nul doute un des meilleurs défenseurs de ce répertoire, Stéphane Degout allie à un timbre moiré de baryton clair, l’extraordinaire intériorité du ton, l’art de soupeser le moindre trait pour créer le climat ou la petite scénette, et l’extrême fluidité de l’élocution. Les somptueuses contributions de leurs pianistes, Eugene Asti et Alain Planès, sont de la même eau en termes de qualité du timbre et de science de la nuance infinitésimale.

Les dernières compositions dont les trois sonates occupent l’autre CD. La Sonate pour violoncelle et piano est d’humeur contrastée. Comme dans le « Prologue », qui donne le ton de gravité dès l’introduction confiée au seul piano. Si les choses s’animent peu à peu, c’est dans le registre dramatique, en particulier sous l’archet de Jean-Guihen Queyras. La « Sérénade » est un jeu sur la sonorité généreuse du cello, de pizzicatos singulièrement. Le « Finale », en contraste avec ce qui a précédé, est tout de légèreté comme si le ciel s’ouvrait enfin. La Sonate pour flûte, alto et harpe, association inédite, est la plus développée des trois. « Pastorale » signale un savant entrelacs des instruments qui folâtrent : flûte un brin nostalgique de Magali Mosnier, harpe enchantée de Xavier de Maistre, alto royal d’Antoine Tamestit. Ces effluves envoûtantes se poursuivent à « l’Interlude », tout de charme et d’élégance gallique, avec une indicible mélancolie. Au « Finale », on se délecte de climats qui évoquent aussi bien Pelléas et Mélisande que les inspirations les plus modernistes de Debussy.

La Sonate pour violon et piano connaît avec Isabelle Faust et Alexander Melnikov une exécution extrêmement retenue, très intimiste. Qu’imprime un parti pris interprétatif osé, quelque peu éloigné de ce que l’auteur décrivait comme une sonate « pleine d’un joyeux tumulte ». L’allegro vivo, pris très lent, se voit imposer par la violoniste des ralentissements répétés et une tristesse angoissée. À l’« Intermède », les jeux novateurs typiques de la dernière période debussyste laissent affleurer un lyrisme serein, frôlant parfois l’alanguissement. Au Finale « Très animé », le duo est plus naturellement gallique. Le disque offre encore quatre pièces pour piano, hommage à cette période de la Grande Guerre qui ébranla tant le compositeur, jouées avec tact par Tanguy de Williencourt.

LPA 05 Déc. 2018, n° 141b2, p.15

Référence : LPA 05 Déc. 2018, n° 141b2, p.15

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