Delphine Boesel, avocate militante et fleur bleue

Publié le 17/07/2017

Présidente de la section française de l’Observatoire international des prisons sections française, Delphine Boesel, avocate pénaliste, milite pour changer le regard de la société sur la prison.

Delphine Boesel.

Vincent Le Gallic

La première chose que l’on voit lorsqu’elle ouvre la porte, c’est son sourire, immense, puis les yeux bleus, doux et bienveillants. Elle porte un jean et un tee-shirt tye and dye bleu, invite à prendre place dans son bureau, un premier étage un peu sombre encombré de journaux et de revues annotés et marqués de post-it. Avocate pénaliste, Delphine Boesel est la présidente de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP). Éplucher les rapports et les articles qui sortent sur la prison fait partie de son quotidien. « L’OIP ne rentre pas dans les prisons. On refuse d’aller voir ce que l’administration pénitentiaire veut nous montrer. Il nous faut trouver d’autres sources d’informations, et les recouper ».

La prison a surgi dans sa vie alors qu’elle était étudiante en droit. « J’avais envie de faire quelque chose pour être utile, cela aurait pu être n’importe quoi », confie-t-elle avec humilité. Elle est alors, à l’en croire, « une élève moyenne », sans contact avec le milieu associatif ou militant. Elle rejoint le Genepi avec une copine, découvre l’univers carcéral. De sa première visite à Fresnes, elle retient surtout une phrase prononcée par un détenu, qui la met en garde. « Ne deviens pas avocate, sinon tu ne viendras plus. Les avocats ne s’occupent plus de nous une fois que l’on est en prison », lui dit-il, sans se douter de l’écho que ses mots provoqueraient. Depuis, Delphine Boesel s’est échinée à faire mentir cette prophétie. En 1999, elle consacre son mémoire de certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) à la défense des condamnés incarcérés. Hasard du calendrier, elle prête serment au moment où la législation évolue et permet à l’avocat de prendre sa place en prison, en assistant notamment aux commissions de discipline. Elle se spécialise dans l’accompagnement de détenus, particulièrement ceux condamnés à de longues peines. « Je ne hiérarchise pas en disant que c’est le summum de la défense », explique-t-elle. « Mais c’est vrai qu’on peut être le dernier, là quand il n’y a plus personne, notamment auprès des gens désinsérés ».

Passionnée mais posée, elle tâche de ne pas mélanger ses deux casquettes, celle d’avocate et celle de militante. « Je fais la part des choses. Quand je m’adresse au directeur d’une prison, je le fais en tant qu’avocat d’un client. Il ne faut pas que cela lui nuise. Je ne défends alors aucune cause ». Elle défend le projet d’application des peines lors des audiences qui se tiennent en prison. Son rôle, dit-elle, est aussi de mettre de l’huile dans les rouages et de permettre de faire le lien entre le détenu et l’institution, « des gens qui ne se comprennent pas ». Elle affirme, s’il le faut, être capable de monter au créneau et d’aller à l’incident. « Cela ne m’arrive pas souvent mais il faut être prêt à cela, sinon on trahit le client. Je ne suis pas une avocate de rupture mais je me suis déjà battue avec des procureurs », affirme-t-elle très calmement. Sur l’accueil de son site internet, elle a inscrit, en guise de présentation, ces mots de Robert Badinter : « La défense, dans ses meilleurs moments, n’est pas, ne peut pas être un exercice serein. La défense ne s’assume pas du bout des dents : elle ne peut être que passion, ou rien ».

L’imaginer, silhouette gracile, visage tout en douceur, arpenter les prisons d’Île-de-France plusieurs jours par semaine a quelque chose d’étonnant. « Vous savez, ce sont parfois des gens comme vous et moi, même si ça arrange tout le monde de croire le contraire », désamorce-t-elle immédiatement. « La prison peut arriver à tout le monde, même sur des actes graves. Il arrive que des personnes avec un casier vierge commettent l’irréparable. Je ne me suis jamais retrouvée face à un client qui me faisait peur, j’ai avec eux une relation basée sur la confiance ». Elle précise cependant que l’on trouve surtout en prison de très jeunes hommes ayant vécu « des trucs rudes », avec « des parcours familiaux compliqués », et que 20 % des prisonniers, en détention provisoire, sont présumés innocents. « Il ne s’agit pas d’excuser ou de tomber dans le “c’est la faute de la société”. Mais en fréquentant les prisons, il est difficile de ne pas constater qu’on ne naît pas tous avec les mêmes chances », affirme-t-elle. Pour lutter contre la surpopulation carcérale, elle estime qu’il faudrait « punir autrement, mais aussi arrêter de punir certaines choses. Si vous envoyez un texto pour prévenir des copains qu’il y a des contrôleurs dans le métro, vous pouvez être poursuivi au pénal. On peut également se retrouver en prison parce qu’on n’a pas payé sa pension alimentaire », explique-t-elle.

Elle défend avec force les alternatives à la prison. « Ce n’est pas être laxiste que de dire que des peines prononcées peuvent être exécutées autrement. De nombreuses études ont démontré qu’il y a moins de récidive lorsque l’on bénéficie d’alternatives et d’aménagements de peine. La prison n’est pas la solution mais le signe d’un échec dans la lutte contre la récidive », insiste-t-elle, avant d’énumérer, à l’appui, des expériences internationales allant dans ce sens : « Les Pays-Bas ferment des prisons, certains États américains vont vers moins de prisons… et ces exemples fonctionnent », précise-t-elle. Cette position défendue par l’OIP trouve peu d’écho dans le débat politique. Delphine Boesel ne se décourage pas et mise sur la pédagogie. « On espère qu’un jour les gens qui votent nous entendront. Quand j’en parle, quand j’explique, ne serait-ce que dans mon entourage, ce qu’est un travail d’intérêt général, ce que cela apporte aux gens, j’ai l’impression de parvenir à me faire comprendre. Et ce même par des gens plutôt pour des méthodes répressives », assure-t-elle. Elle veut croire que la société évolue un peu – « J’ai arrêté d’entendre le terme de prison quatre étoiles » –, mais trouve le mouvement trop lent. « Il faudrait une révolution culturelle, changer de logiciel. Imaginer une détention par étapes, aller peu à peu vers des prisons ouvertes… Ce n’est pas du tout ce que l’on fait aujourd’hui », déplore-t-elle. Elle dénonce également le coût financier de la prison, rappelant qu’une journée d’emprisonnement coûte 100 € à la collectivité, contre 30 € pour la semi-liberté ou 15 € pour le bracelet électronique. « Tout ça pour des résultats inefficaces. Si on était chef d’entreprise, on arrêterait immédiatement ! », affirme-t-elle.

Depuis qu’elle a pris la présidence de l’OIP, elle a acquis une petite notoriété dont elle semble s’étonner. Elle a fait son entrée, cette année, dans la liste des quarante avocats les plus influents dressée par le magazine GQ. Elle y côtoie des ténors médiatiques tels qu’Henri Leclerc ou Éric Dupond-Moretti. « C’est fou, non ? », interroge-t-elle, incrédule et amusée, en tournant les pages du magazine. En 2015, elle a reçu un prix pour son action en faveur du respect des droits de l’Homme en milieu carcéral et d’un moindre recours à l’incarcération lors de la quatrième édition des trophées pro-bono organisée par le barreau de Paris. « L’OIP m’a permis de dépasser le cadre de mon métier, de réfléchir à une société meilleure. C’est chouette », confie-t-elle.

Le métier d’avocat accompagnant les longues peines, à l’écouter, en découragerait plus d’un. « Certains magistrats savent que l’application des peines est un pari et prennent des décisions fondées. Cela redonne du courage. Mais il est globalement difficile de faire sortir un détenu », témoigne-t-elle. Ces rares sorties donnent lieu à des moments émouvants, où un café en terrasse, une simple balade dans la rue, deviennent de grands événements. « C’est émouvant d’accompagner quelqu’un vers la liberté », avoue-t-elle. Elle se remémore une journée de permission passée avec un détenu condamné à trente ans de prison. « Il ne marchait pas, il tanguait, comme sur un bateau. Il n’avait jamais vu un smartphone ailleurs qu’à la télé, ne savait pas qu’on ne prenait plus de ticket au télépéage. Au bout de trois jours, il voulait rentrer dormir en prison ». Repenser à cette journée la fait sourire et lui met les larmes aux yeux.

Elle croit à une vie après la prison, même si « on n’en sort pas indemne ». Elle s’intéresse autant à la « désistance », terme technique pour qualifier la sortie de prison, qu’à la délinquance. « Les recherches montrent que les prisonniers rechutent fréquemment pour des infractions moins graves. La sortie de la délinquance n’est pas un processus linéaire ». Pour se ressourcer, elle aime le théâtre, les week-ends à la campagne, les romans de Jane Austen, qu’elle relit plusieurs fois. « J’ai un côté très fleur bleue, loin de ce que je vis au quotidien », sourit-elle, malicieuse.

LPA 17 Juil. 2017, n° 127j7, p.3

Référence : LPA 17 Juil. 2017, n° 127j7, p.3

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