Incandescent Mefistofele à l’Opéra de Lyon

Publié le 13/11/2018

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Alors qu’il doit sa célébrité pour ses qualités de librettiste de Verdi pour Othello et Falstaff, Arrigo Boito est une figure à part de la musique italienne du XIXe. Il fréquente très tôt les milieux d’avant-garde qui préconisaient de combattre toute forme d’académisme. Son grande œuvre, Mefistofele, voit le jour en 1868 : un fiasco retentissant. Boito le remaniera, et la création de la nouvelle mouture, en 1875, est un franc succès. La manière de traiter le mythe est ambitieuse, puisqu’il s’agit de couvrir les deux parties du Faust de Goethe, à la différence de l’opéra de Gounod ou de La Damnation de Faust de Berlioz, qui se réfèrent pour l’essentiel à la première. Boito justifie son choix par une explication d’une parfaite logique : « Sans cette suite – Le second Faust –, le drame reste non réalisé dans son développement et sa portée. C’est un pacte entre Dieu et le Diable qui est le point de départ du poème de Goethe… Pour que le conflit dualiste soit résolu, il doit être suivi jusqu’à la mort de Faust, qui est l’âme en cause dans le pacte ». Aussi l’opéra connait-il une construction en arche, ses quatre actes voyant Faust être entraîné par Méphisto au fil des épisodes de ses amours avec Marguerite, de la mort de celle-ci, mais aussi de la conquête d’Hélène de Troie. Ceux-ci sont encadrés par un prologue et un épilogue censés introduire et tirer la morale de l’histoire : le défi morbide que s’assigne Mefistofele de capturer Faust dans ses filets et le dernier combat livré contre le bien auquel il tente de l’arracher. Le personnage pivot est donc bien celui de Méphistophélès…

La mise en scène d’Àlex Ollé conçoit l’action dans l’hallucination de Mefistofele : il accentue le trait en le personnifiant tel un psychopathe, véhiculant délire et cruauté dans une singulière exploration du mal. Ainsi du prologue où Méphisto n’hésite pas à trucider quelques angelots parmi les multitudes célestes. Mais surtout de l’épilogue dont Ollé conçoit la mort de Faust sous le couteau de ce fanatique personnage. La prééminence de celui-ci s’exprime encore lors de la scène cruciale dans laquelle Faust tente d’arracher Marguerite à sa prison. C’est ici, à Mefistofele, que la pauvre femme s’adresse dans son délire, le confondant avec Faust, resté en retrait, comme emprisonné à l’arrière-plan. La lumière occupe une place essentielle dans ce spectacle, tour à tour phosphorescente ou dans des tons volontairement soulignés, presque fluo. Elle transfigure un dispositif scénique spectaculaire sur plusieurs plans. D’abord un froid laboratoire, peuplé de petites mains affairées à disséquer quelques objets sanguinolents ; puis une structure en fer des plus sophistiquées, elle-même mobile, où s’inscriront les épisodes de Pâques, vus en bacchanales, du jardin de Marguerite, troqué pour l’entrée d’une luxueuse boîte de nuit, et de la nuit de Sabbat, lieu étrange aux effrayantes couleurs verdâtres. À l’heure de sa mort, Marguerite sera transpercée d’éclairs sur une chaise électrique, sur les mots du chœur : « Elle est sauvée… » ! Le tableau où évolue Hélène nous transporte dans une sorte de revue emplumée, le bleu électrique virant au rose bonbon pour le spectacle au 2e degré offert à un Faust émerveillé.

L’opéra est très exigeant musicalement. Dans le rôle-titre distribué à une basse profonde, John Relyea se taille un franc succès, avec une voix d’airain parée de nuances, permettant d’affronter une vaste amplitude. L’incarnation est tout aussi saisissante : une manière presque détachée, singulièrement intériorisée. Dans le rôle non moins difficile de Faust, Paul Groves sacrifie avec conviction à la vision qu’en a le metteur en scène : « Un individu gris », plus victime de ses fantasmes qu’acteur de ses conquêtes. Evgenia Murareva offre quant à elle une Marguerite de belle stature et d’un soprano rayonnant. Personnage omniprésent de l’œuvre, le chœur est un autre atout du spectacle. Chœurs et maîtrise de l’Opéra de Lyon sont complètement investis, tout comme l’orchestre de l’Opéra, dirigé avec brio par Daniele Rustioni qui a la mesure de cette musique complexe et parfois déroutante. Où la luxuriance le dispute à une certaine austérité, les écarts dynamiques extrêmes à un ton résolument sombre.

LPA 13 Nov. 2018, n° 140j1, p.16

Référence : LPA 13 Nov. 2018, n° 140j1, p.16

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