Paris (75)

Journée du droit dans les collèges : Marion Couffignal : « La justice est quotidienne » !

Publié le 02/11/2022

La 5e édition de la Journée du droit dans les collèges a eu lieu le 4 octobre dernier. Dans le collège Colette Besson (XXe arrondissement de Paris), c’est l’avocate Marion Couffignal qui s’est prêtée au jeu. Si les élèves ont appris d’elle, elle a aussi retiré quelques enseignements de son intervention.

Le 4 octobre dernier était une grande première pour Marion Couffignal. Ce jour-là, à l’occasion de la Journée du droit dans les collèges, l’avocate de 38 ans se rend dans l’établissement Colette Besson, en plein cœur du XXe arrondissement. Cette après-midi, elle va rencontrer des élèves de 4e. « La 4e est une année « vide », puisque le brevet n’a lieu que l’année prochaine. Les élèves sont censés avoir l’éducation à la sexualité et aussi une introduction à la professionnalisation », explique Mathieu Desprez, le professeur de mathématiques de la classe qui a organisé la venue de l’avocate. Cette intervention comble un « besoin d’oxygène » pour les élèves et permet de sortir du « pur scolaire », se réjouit-il.

Les élèves s’installent, le brouhaha s’atténue. « Savez-vous ce qu’est la justice ? », demande Marion Couffignal en guise d’introduction. Quelques secondes de silence. Mais cela ne dure pas longtemps. Rapidement, les mains se lèvent et les réponses fusent. « C’est ceux qui font respecter le droit », « ceux qui vont nous juger si nous ne respectons pas les droits », ou encore « ceux qui vont délibérer sur le sort de ceux qui ne respectent pas la loi », entend-on.

« Oui, c’est ça. La justice, c’est une valeur morale, qui consiste à savoir ce qui est juste ou injuste. Dans une démocratie, c’est un des piliers de l’État de droit. Le monde de la justice est composé de magistrats, de juges, d’avocats, mais aussi de métiers moins connus, comme les greffiers. Vous savez ce qu’est un greffier ? »…

– « Oui, c’est celui qui note ce que dit l’accusé comme la victime », lance l’un des élèves. « Parfaitement, afin de garder une trace, car les jugements sont publics. Ils sont rendus au nom du peuple français », poursuit l’avocate.

Au cours de la séance, des questions passionnantes sont posées. Est-ce que seuls les humains sont jugés ou également les animaux ? Est-on tous égaux devant la justice ? Cette question soulève d’ailleurs de nombreuses interventions. « Non, on peut se payer un meilleur avocat quand on est riche », lance l’un d’entre eux. En découle une longue discussion pour comprendre la différence entre équité et égalité. « Les enfants peuvent-ils être condamnés » ? Oui, répond Marion Couffignal, qui précise qu’« ils ne font pas preuve du même discernement, des mêmes compétences, de la même expérience. On peut les punir mais l’on ne juge pas les enfants de la même manière que les adultes » !

« Est-ce qu’on dit « votre honneur »? »

Au cours de son intervention, les élèves lancent quelques saillies amusantes, signe de leur ancrage dans leur époque. L’une demande : « si on peut faire appel aux services de Kim Kardashian » (qui a repris des études de droit et a passé l’un des deux examens qui permet d’exercer en Californie, NDLR). Réponse, dans un sourire. « Elle n’est pas inscrite au barreau de Paris ! », recadre Marion Couffignal. Les jeunes sont aussi particulièrement intéressés par la présentation de sa robe d’avocate. Au moment de la déplier, on entend un « Wouah, trop stylé ! », parmi les élèves, qui ne tarissent pas de questions. « Mais ça coûte combien ? », demande l’une d’entre eux. Et aussi à quoi elle sert, si tous les acteurs de la justice portent la même ou s’il en existe d’autres… « Je l’aurais prise en rouge », glisse une autre élève. Mais l’avocate de préciser que le but de la robe est « justement qu’on soit tous habillés pareil ». Après son intervention, Marion Couffignal confiera… : « Je voulais des échanges spontanés et dynamiques ». Ses espoirs ont été comblés.

Avocate qui traite essentiellement du droit des contrats et du droit de la propriété intellectuelle, Marion Couffignal sait qu’elle parle d’un droit éloigné des représentations habituelles répandues chez les jeunes. « Je voulais parler de ma pratique, car je me suis rendu compte que les représentations de la justice qu’ont les jeunes est très liée aux faits divers. Ils ne comprennent pas qu’il s’agit de la partie émergée de l’iceberg, mais la justice est quotidienne » ! Elle qui vient de fonder son cabinet après onze ans de collaboration et est très fière d’avoir franchi le pas et embrassé l’aspect entrepreneurial du métier d’avocat. Mais si elle s’est montrée consciente de ne pas présenter le visage attendu de l’avocat, elle a su capter l’attention des élèves, notamment quand elle a glissé s’être occupée tout récemment du contrat d’un influenceur. « Ah oui, qui ? », demande aussitôt une élève. Au passage, la question permet de réaffirmer l’absolue nécessité du secret professionnel. Dans la classe, cela suscite des questions d’ordre moral. « Et si quelqu’un avoue qu’il a tué quelqu’un d’autre ? ». L’avocate prend la parole. « Il est absolu. Sauf si un client explique qu’il a prévu de tuer quelqu’un, mais dans ce cas, nous devons nous référer à notre bâtonnier pour lever ce secret professionnel et c’est lui qui prendra contact avec les autorités de police ».

Enfin, l’influence des représentations à l’américaine est notable. « Est-ce qu’on dit « votre honneur » ? » est une question qui revient régulièrement. Non, répond l’avocate qui « corrige » aussi les représentations mettant les jurés au cœur de la mise en scène judiciaire. « Dans les séries américaines, on montre beaucoup de procès avec des jurés, mais en France, c’est très rare. Les seuls concernés sont les procès en cour d’assises qui ne juge que les crimes les plus graves, des viols, des meurtres, … Il n’y a que dans ces procès que des jurés interviennent. Ils sont tirés au sort sur les listes électorales ». « Ma mère peut le faire ? », demande l’un des élèves, – « Oui, si elle est inscrite sur les listes, cela peut lui arriver »…

D’autres grandes notions sont abordées comme la présomption d’innocence, l’évaluation des préjudices, la clause de conscience de l’avocat.

Journée du droit dans les collèges : Marion Couffignal : « La justice est quotidienne » !
Affiche de la Journée du droit dans les collèges

Lutter contre la défiance : un acte citoyen

Les idées reçues sur la justice sont nombreuses. « C’est bien normal, les jeunes voient des séries, ils sont influencés par un imaginaire culturel », analyse l’avocate. Par exemple, l’idée reçue que les avocats gagnent très bien leur vie, tandis que le revenu médian est de 46 000 € par an. Pour Marion Couffignal, il est « normal de participer à une meilleure connaissance du droit et d’expliquer à un jeune public ce que sont les fondements de notre démocratie. Je le fais en tant qu’avocate et élue (Marion Couffignal est la présidente de la Commission droit et entreprises du Conseil national des barreaux de Paris, NDLR) mais aussi en tant que citoyenne ». Mais l’avocate s’est montrée surprise par « la défiance vis-à-vis de l’institution judiciaire ». Pendant l’intervention, plusieurs élèves ont en effet évoqué la corruption des juges, les inégalités devant la justice en lien avec sa capacité à payer. « S’ils n’ont pas confiance dans l’institution judiciaire, cela veut dire qu’ils n’ont pas confiance en la démocratie, donc l’État de droit est en péril. Cela justifie d’autant plus d’intervenir. S’ils ont des idées reçues, c’est le bon moment pour les déconstruire. Il s’agit collectivement de leur faire comprendre qu’ils ont des droits et qu’ils peuvent les faire valoir ».

D’ailleurs la thématique des discriminations fait partie des thèmes abordés lors de son intervention. L’avocate essaie donc de faire réfléchir les élèves sur les discriminations qu’ils connaissent. La couleur de peau, l’apparence physique, la religion, l’orientation sexuelle, le genre, le handicap, l’âge, ils répondent avec dynamisme, citent le testing fait sur les logements ou dans le monde du travail. « Le droit n’est pas figé, il évolue. En 1800, il était interdit aux femmes de porter un pantalon. Les femmes n’ont eu le droit de vote qu’en 1944 », rappelle l’avocate. Interjection de surprise dans la salle. « Mais pourquoi il y a encore des discriminations ? », demande une élève. « Les discriminations sont de plus en plus recensées et caractérisées dans la loi mais pour qu’elles disparaissent, il faudrait que les plaintes soient systématiquement déposées, ce qui n’est pas encore le cas », explique Marion Couffignal.

Après presque deux heures, la séance prend fin. Très heureuse de ces échanges à bâton rompu, Marion Couffignal resignera volontiers pour l’édition 2023. Mathieu Desprez, le professeur, reprend la parole. « A priori, vous ne reverrez pas Marion Couffignal, sauf si vous avez besoin de ses services en tant qu’influenceur, plaisante-t-il. Mais nous, nous nous revoyons jeudi pour le prochain cours de maths »…

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