La jeunesse d’Île-de-France veut changer le monde
Les jeunes sont de plus en plus nombreux à s’inscrire dans des mouvements de contestation en faveur du climat ou contre les violences systémiques (violences sexistes, racistes ou économiques), mais ils sont nombreux à avoir perdu foi en la politique. Pourtant, certains déjouent les pronostics et croient encore que changer le monde peut passer par les urnes.
Socrate disait « rien n’est trop difficile pour la jeunesse ». En France, avant les municipales, seuls 4 % des maires avaient moins de 40 ans. La raison ? « Les jeunes sont politisés autrement », a déterminé la sociologue spécialisée Anne Muxel. « Leur intérêt pour la politique, la chose collective, s’exprime malgré leur défiance envers le système et le personnel politiques. C’est dans cette posture paradoxale que les jeunes entrent en politique et cela aboutit à une définition de leur citoyenneté plus critique, assez vigilante vis-à-vis de la démocratie et de son fonctionnement ». Une posture qui touche particulièrement les jeunes issus des villes, plus prompts à faire des manifestations, bloquer des lycées, des centres commerciaux ou coller des affiches.
Cela n’a pas empêché des jeunes de se présenter sur les listes des élections municipales des communes d’Île-de-France comme Hugo Dumont (18 ans) qui s’est présenté à la mairie de Saint-nom-la-Brétêche dans les Yvelines, Armonia Pierantozzi (33 ans) qui s’est présentée à la mairie des Lilas, Noah Graziani (19 ans) à Issy-les-Moulineaux, Léoli Matobo (19 ans) candidate à Charenton-Le-Pont, comme Méliné Reita (25 ans) candidate à Meudon ou Athénaïs Michel (21 ans), candidate à Paris. Tous portent un message similaire : il faut changer les choses depuis l’intérieur du système. Le 8 mars dernier, à la veille du premier tour, ils étaient d’ailleurs une centaine à signer une tribune – parue dans Le Parisien – pour appeler les jeunes à se mobiliser pour les municipales.
« Notre génération n’est pas désabusée et encore moins désengagée. Simplement, ses modes d’action divergent de ceux des générations précédentes. Nous avons grandi avec les chaînes d’information en continu, internet et la viralité des réseaux sociaux. Nous nous sommes emparés de ces nouveaux outils pour porter des messages, promouvoir des causes et révolutionner l’engagement. Faire entendre notre voix dans l’espace public et en ligne est donc, bien sûr, souvent utile et parfois indispensable. Mais rien ne peut ni ne pourra jamais remplacer l’utilité du vote. Glisser un bulletin dans l’urne, quel qu’il soit, c’est dire notre attachement à la démocratie et notre désir d’y être impliqués. Faire le choix inverse, celui du renoncement, c’est donner le sentiment que la jeunesse ne s’intéresse pas à la vie publique, ou, pire, qu’elle est fainéante et découragée. C’est surtout laisser les autres choisir à notre place, alors qu’en tant que jeunes, nous serons les premiers à subir demain les conséquences des décisions prises aujourd’hui », ont-ils écrit. Malgré cette tribune positive, 72 % des personnes âgées de 18 à 34 ans, se sont abstenus aux dernières municipales. Les raisons sont multiples : désintérêt, épidémie de Covid-19 et aussi le fait que les jeunes vivent souvent dans la ville de leurs études, et sont inscrits sur les listes de leurs villes de naissance.
Mathieu Tomé, 19 ans, conseiller municipal à Montreuil
Le 28 mai dernier, Mathieu Tomé, polo blanc et lunettes sur le nez, entrait pour la première fois dans la salle du conseil municipal de Montreuil (93). À 19 ans, et entre deux parties de foot, l’étudiant à Sciences Po Paris s’est mobilisé dans la liste de Patrice Bessac, maire réélu au premier tour : « C’est impressionnant d’être à la place de ceux que l’on regardait en séances sur l’ordinateur », s’étonne encore le jeune homme qui est délégué à la mémoire et aux anciens combattants. Une mission qui le rend fier, concède-t-il : « Cette année, nous allons continuer un cycle mémoriel sur l’esclavage au Musée de l’Histoire vivante (situé au cœur du Parc Montreau), et accompagner 150 jeunes à Auschwitz pour qu’ils deviennent passeurs de mémoire ».
Malgré son jeune âge, Mathieu Tomé a déjà une grande expérience dans la politique : il a participé aux primaires de la gauche en 2016, adhéré au PS en 2017 avant de se mobiliser pour les législatives de 2018. « Ma famille est relativement politisée, à 4 ou 5 ans j’étais déjà en manif »!
Alors que sa ville de naissance ne connaît pas d’alternance politique (la ville est un bastion historique de la gauche), le jeune homme y voit l’occasion de travailler hors du clivage politique national et plus sur des enjeux locaux. « Notre coalition défend une écologie populaire avec une priorité sur l’économique et le social. À l’échelle locale, et les municipales le démontrent, j’ai l’impression que la coalition, l’alliance, le rassemblement, est la seule façon de gouverner correctement ».
Déçu par les taux d’abstention (60 % des Français au total se sont abstenus pour le scrutin du second tour), Mathieu Tomé se dit pourtant satisfait de ce qui se dessine en termes de changement politique : « Nous avons toujours connu l’alternance politique quand nous étions enfants et nos parents finissaient toujours par être déçus donc nous nous sommes projetés dans le désenchantement », dit-il. « Je suis heureux de voir certaines machinations politiques tomber dans certaines grandes villes. J’ai l’impression de participer à cet élan-là, depuis ma place. D’ailleurs, on voit une vraie rupture entre les maires élus au premier tour et qui restent dans les mêmes logiques traditionnelles plutôt souverainistes, et les autres qui sont plus dans la coalition d’idées, voire dans ce que j’appelle la “boboïsation de la politique” ».
Car le jeune homme n’est pas dupe : les jeunes engagés comme lui en politique, qui contribuent à changer la façon de faire de la politique, ont un peu tous le même profil : « Les jeunes élus, nous sommes à peu près tous construits sur le même modèle, nous sommes à Sciences Po et peu d’entre nous ont grandi dans les quartiers populaires. Je vais me battre pour convaincre les gens de s’investir, il faut que la politique ne soit pas juste une affaire de “fils de”. La politique locale cela permet de montrer que voter peut mener à un résultat concret, que ce soit la rénovation d’immeubles d’habitation, ou le changement de pelouse synthétique d’un terrain de sport » !
À écouter ce jeune élu francilien, on est en droit de penser que la jeunesse, si elle est désenchantée, est loin d’être désemparée : « Je n’ai jamais vraiment aimé le monde tel qu’il était et je me suis toujours dit que pour y avoir ma place, il faudrait que je le change. M’engager en politique est un moyen d’y parvenir ».