La réédition bienvenue d’En quête de L’Étranger
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Les rapports d’Albert Camus avec l’Algérie et les Algériens n’ont pas été simples. Le temps n’a pas apaisé les incompréhensions. Camus en a été le premier meurtri.
Dans le bar de l’hôtel Saint-George à Alger, devenu El Djazair, on a conservé sa photographie aux côtés de celles de Gilles Pontecorvo, Robert Castel, Warda ou encore Amel Wahbi ; mais à Tipasa, la stèle que ses amis ont érigé au bout des ruines de Noces, sur une ligne joignant le sommet du Mont Chenoua au Tombeau de la Chrétienne, suscite l’indifférence.
À Alger, rue Belcourt, la maison où il vivait avant de rejoindre les hauts d’Hydra, garde ses volets fermés. Il n’y a pas de plaque au nom de l’écrivain pour s’en souvenir. Au rez-de-chaussée de l’immeuble, un café où l’on discute et boit du café très fort, on y commente la vie de 2018. Camus, c’est loin…
L’éditeur Barzakh n’a pas la même vision des choses. La réédition, en langue française, d’En quête de L’Étranger d’Alice Kaplan, une universitaire américaine, est à saluer à un double titre. D’abord, parce qu’elle va permettre au public algérien – qui fréquente entre autres la Librairie des deux mondes à Alger, qui l’a mis en tête de gondole – de réfléchir de nouveau sur L’Étranger, roman unique à plus d’un titre, et à Camus aussi. Ensuite, parce que le livre d’Alice Kaplan, en soi, est à ne pas rater. Il avait été édité en France en 2016 : il mérite qu’on en reparle.
Ce n’est pas un livre de plus, ni sur L’Étranger, ni sur Camus, mais un « incontournable » pour qui veut encore apprendre et comprendre les énigmes de ce texte.
Livre savant écrit dans une langue et un style romanesques, il s’agit d’une véritable enquête : Alice Kaplan a multiplié les sources et les angles d’approche et renvoie à des notes précieuses. Elle a également fait le voyage en terre algérienne, rencontré des témoins et d’autres écrivains, dont Kamel Daoud, incontournable lui aussi depuis son Meursault contre-enquête. Alice Kaplan s’efforce de répondre à la question de savoir pourquoi L’Étranger « est aussi captivant et impénétrable aujourd’hui qu’il ne l’était en 1942, avec ses images à la fois ordinaires et inoubliables ». Elle y a réussi.
Au-delà des sentences et formules qui ont voulu étiqueter définitivement ce roman (« bréviaire existentialiste », « allégorie coloniale », « du Kafka écrit par Hemingway »), Alice Kaplan montre que c’est bien autre chose, de plus complexe, plus riche, plus ouvert. Plus génial en somme, ajouterions-nous. Comme on le sait, l’adaptation cinématographique de L’Étranger – Visconti la reniera – n’a pas laissé un grand souvenir, sinon que c’était raté. On comprend en lisant Kaplan pourquoi on ne pourra jamais faire en vérité de film à partir d’un tel livre, si étrange, si mystérieux, si… littéraire.
La meilleure chose à faire désormais est, après avoir lu Kaplan, de lire et relire L’Étranger !