Le mélodrame au cinéma selon Douglas Sirk

Publié le 28/04/2020

All That Heaven Allows.

Universal International Pictures

Le mélodrame fut un genre en soi dans le cinéma hollywoodien. Tous les studios s’y ont mis, et avec eux leurs réalisateurs avec plus ou moins de bonheur. Au-dessus du lot, il y avait notamment Douglas Sirk, un exilé et passionné de théâtre qui a signé en 1954 l’inoubliable Le Secret magnifique, avec Jane Wyman et Rock Hudson. En 1959, il signe le remake du film de 1934 avec Claudette Colbert. Douglas Sirk a une sacrée carrière derrière lui. Pour Universal, il tourne ce Mirage de la Vie (Imitation Life).

Film testamentaire et modèle du genre. Au cœur des intrigues croisées, il y a la question de la famille dans une quasi unité de lieu, la famille un thème cher à Sirk (que l’on retrouvera traitée l’année suivante dans un style plus académique par Minelli, dans Celui par qui le scandale arrive). Sirk tourne ce film qui sera son dernier. Il est âgé, fatigué, peut-être las… Cela ne se ressent pas. Le film est maîtrisé à tous les niveaux et exemplaire de ce que l’on attend du mélodrame : une histoire à laquelle on croit et qui ne nous lâche pas au point de s’en émouvoir jusqu’aux larmes. Encore en 2020.

Des acteurs. Le Mirage de la Vie ne serait pas le film qu’il fut et qu’il est encore, plus de soixante ans plus tard, sans le jeu exemplaire de tous les acteurs. Le mélodrame n’a pas le droit d’être surjoué, faute de choir dans le mauvais goût, l’inefficacité et l’oubli mérité. Ce n’est pas simple quand le scénario se mêle comme ici de vouloir en découdre – on est dans les années 50-60 aux États-Unis – avec la question du racisme, de l’autorité parentale, de la maternité, du mariage, du machisme, et des mœurs du monde du spectacle. À l’heure du « Me too », certaines scènes et dialogues montrent le réel courage dont firent preuve à l’époque les scénaristes du film. Le mélodrame exige l’engagement des acteurs mais également leur sobriété. C’est le cas ici, Lana Turner en tête, à l’abattage certain, tout en nuances et efficacité. Lana Turner, dont la propre vie n’était pas simple, à l’instar du personnage de Lora, une mère pas toujours disponible et qui veut accomplir d’abord sa vie de femme libre et ambitieuse. Arrivera- t-elle à trouver son propre équilibre et sauver ses proches des drames de la vie ? Les autres femmes sont incarnées par les bouleversantes Juanita Moore, Susan Kohner et Sandra Dee, qui ne méritent pas l’oubli. Le beau John Gavin campe impeccablement Steve, un homme de l’époque aux côtés de ces portraits féminins.

La mise en scène selon Douglas Sirk. Raffinée toujours, elle est au service du scénario et du propos. On sait le soin qu’apportait Douglas Sirk aux couleurs. Le Mirage de la vie témoigne de son travail sur les angles des prises de vue et le choix des plans, souvent sophistiqués. Ce qui est remarquable avec Douglas Sirk, c’est que rien n’est jamais maniéré. Universal avait vu juste en lui, associant une belle équipe technique, dont Russell Metty à la photo et Milton Carruth au montage, qui donnent sa vigueur et son rythme au film qui en dit beaucoup de l’état de la société américaine de l’époque… Douglas Sirk n’est pas démonstratif et ne se perd jamais dans le jugement. C’est cela le secret d’un bon mélodrame.

Douglas Sirk ne tournera plus de films. Il termine sa vie à Lugano, cette ville au charme un peu hors du temps et au décor de cinéma. On aime penser qu’un jour Lora et Steve y sont venus s’y promener…

LPA 28 Avr. 2020, n° 153q2, p.15

Référence : LPA 28 Avr. 2020, n° 153q2, p.15

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