Le pays lointain

Publié le 02/04/2019

Théâtre de l’Odéon

Il se rêvait écrivain et il le fut avec une intensité remarquable, pressé par le temps qui lui a été donné avec parcimonie : vingt-cinq pièces, des récits, des essais, un livret d’opéra, l’adaptation d’une pièce de Crébillon, et un imposant journal.

Il créa sa propre compagnie, celle de la Roulotte, pour monter ses pièces. Il fut comédien, metteur en scène, fonda avec son exécuteur testamentaire, François Berreur, une maison d’édition – « Les solitaires intempestifs » – qui publiait ses textes. Il se fit connaître en mettant en scène les pièces des autres avant de mourir du sida qui n’était alors pas guérissable à cette époque.

Le succès vint très vite ensuite ; aujourd’hui, il est au sujet du Bac, deux de ses textes ont été au programme de l’agrégation de lettres modernes et il est entré au répertoire de la Comédie française avec Juste la fin du monde, adapté ensuite au cinéma par Xavier Dolan.

Le Pays lointain, achevé une semaine avant sa mort après une écriture longue et difficile, est une pièce de quatre heures, ultime variation autour du thème qui lui est cher, celui du retour parmi les siens d’un jeune homme qui a fui sa famille pour s’en chercher une autre et qui voudrait s’intégrer et s’exprimer sans pouvoir y parvenir.

Il convoque onze personnages ; ceux de sa famille biologique et ceux des familles d’adoption, les amours furtives et les rares amitiés, mais également les fantômes, comme celui du père.

La quête d’identité de jeunes homosexuels et la confrontation avec leur famille ont peuplé les scènes parisiennes en ce début d’année 2019, avec Les Indomptés, la pièce d’Édouard Louis : Qui a tué mon père et le Retour à Reims de Didier Eribon.

La pièce de Lagarce est sans doute la plus littéraire, avec un profond renouvellement de l’écriture sur des thèmes quant à eux éternels, et une écriture très sophistiquée difficile d’accès à la première approche. Il manipule, avec une quête de vérité, des mots simples et les fait rebondir en spirales et circonvolutions, mêle le dit et le non-dit, la précipitation et la langueur.

Clément Hervieu-Léger, qui avait présenté ce spectacle en 2017 au théâtre national de Strasbourg, est un fervent de Lagarce dont il maîtrise la complexité. Il a choisi ici un décor crépusculaire minimaliste, situant la rencontre des familles sur un terrain vague, sorte d’aire d’autoroute avec une vieille voiture abandonnée et une cabine téléphonique hors service.

Sa direction d’acteurs est parfaite, l’esprit de troupe évident. Sans doute peut-on trouver la première partie trop longue et bavarde. Mais lorsque l’on entre dans le texte, on peut se laisser emporter par un rythme qui devient envoûtant. Et quand surviennent des monologues comme celui du père ou de la sœur, la force poétique de l’auteur et sa violence lyrique ne peuvent manquer de toucher…

Théâtre de la modernité contemporaine, miroir d’une époque à la recherche de refuges, de quête de l’autre et des autres, à l’image de ce bouquet de fleurs apporté par un des visiteurs qui ne cessera de circuler bêtement, faute de destinataire.

Un ultime cadeau pour les spectateurs sans autre explication, mais avec tant de sens.

LPA 02 Avr. 2019, n° 143t8, p.14

Référence : LPA 02 Avr. 2019, n° 143t8, p.14

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