Michel Piccoli et l’art de l’acteur
Michel Piccoli et Brigitte Bardot dans Le Mépris.
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Inclassable Michel Piccoli. Il a habité le cinéma et « l’écran blanc de nos nuits blanches ». Il a traversé les genres, les époques et les modes. Il a tourné pour les classiques, pour la Nouvelle Vague, pour le nouveau cinéma français, celui de Leos Carax, et dans des films allumés comme Themroc. Il a tourné dans des films « d’intellos », mais également dans Danger : Diabolik ! de Mario Bava ou Terreur en Oklahoma. Il a joué pour des metteurs en scène provocants, Marco Ferreri en tête, avec lequel il a fait sept films. Il a été filmé par Buñuel et Hitchcock. Les italiens lui ont porté chance : un prix d’interprétation à Cannes, en 1980, avec Le Saut dans le vide de Bellocchio ; un rôle en or dans Habemus papam, qui lui vaut un David di Donatello du meilleur acteur. En 2013, la Cinémathèque française ne s’était pas trompée avec une rétrospective qui rendait hommage à la carrière italienne de l’acteur. Au cinéma, il a été journaliste, cow-boy, indien, consul, inspecteur, officier, directeur d’un aéro-club, avocat, antiquaire, paltoquet, préfet de police, journaliste, directeur de music-hall, homme d’affaires, chirurgien, écrivain, peintre, animateur télé, scénariste, juge, maître des requêtes auprès du Conseil fédéral de Berne… Il a été le pape Melville. Il a incarné Edgard Pisani. Et aussi Buffalo Bill ! Soixante ans de carrière, où il a promené les colères, les folies et les silences de ses personnages. Et partagé les instants délicats des choses de la vie avec Hélène, Vincent, Paul et bien d’autres. Chapeau l’artiste !
L’allure et la voix. Piccoli c’était un physique, une allure, une déambulation. À l’écran, une attitude, une manière de parler. Une voix, un timbre aussi. C’est l’écouter avec Romy Schneider enregistrer en 1970 La Chanson d’Hélène. C’était une façon de porter la cigarette à une époque, où ce geste désormais banni faisait partie intégrante du jeu d’acteur. Un acteur, c’est également l’art du détail et de l’accessoire. Dans Le Mépris, Paul ne quitte pas son chapeau et Piccoli s’en habille comme d’une double peau. Qui mieux que lui aurait pu jouer ce double de Godard, et ce personnage de scénariste un peu veule qui se laisse traiter « d’âne Martin » par Camille. Qui mieux que lui aurait pu jouer un type qui aime la silhouette de Camille mais la laisse partir avec ce benêt vulgaire de Prokosch. Camille est morte mais ne lui en veut pas, Brigitte Bardot lui a dit qu’elle avait adoré tourner avec lui. Piccoli excellait dans les personnages ambigus, tourmentés, antipathiques. Il dérangeait souvent et c’était sacrément bon. Chapeau l’acteur !