Audience de rentrée de la cour d’appel de Versailles : « Les Jeux olympiques se gèrent aussi avec les lunettes de l’État de droit »
Le 16 janvier derneir se tenait l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Versailles, suivie d’un point presse. Deux moments qui ont permis aux chefs de juridiction de rappeler les objectifs principaux de 2024, dont la tenue des JO dans les meilleures conditions possibles.
Cette audience solennelle de rentrée aura été l’occasion, tant pour Jean-François Beynel, premier président de la cour d’appel de Versailles, que de Marc Cimamonti, procureur général, de rappeler que 2023 a été marquée par plusieurs faits importants. Parmi eux, la création d’un pôle des violences intrafamiliales, mis en place depuis le 1er septembre 2023 (et validé par décret du 23 novembre). À sa tête, l’ancienne ministre, Isabelle Rome, première vice-présidente de chambre. Sur le sujet, le premier président, Jean-François Beynel, a détaillé vouloir créer une communauté de travail, assurer la formation des magistrats et des fonctionnaires de justice et construire une politique cohérente et visible sur le sujet. Un triple objectif plus que nécessaire au vu de l’ampleur du phénomène. Marc Cimamonti a précisé que « le contentieux des violences conjugales connaît depuis près de 6 ans un développement considérable continu : près de 80 % de hausse du nombre des mis en cause judiciaires, hausse de 15 % en 2022 des victimes ».
L’année aura été également marquée par les émeutes urbaines qui ont testé les limites de la juridiction. Le sentiment, six mois plus tard, est celui de la conviction d’avoir été à la hauteur. Pour Marc Cimamonti, « nous avons fait face ». Multiplication des comparutions immédiates, renforcement des permanences, recours largement systématique aux défèrements en vue de comparutions immédiates, etc. Même si ce genre d’événements, et leur traduction judiciaire, pose aussi question : « Dans les faits de violences collectifs, l’exigence probatoire est plus difficile à satisfaire », a-t-il glissé. Pourtant il « faut garantir un niveau minimal d’enquête et tirer de l’expérience de cet été les enseignements utiles pour les Jeux olympiques ». Jean-François Beynel a renchéri : « On peut être fiers de la façon dont a été rendue la justice à la cour d’appel de Versailles. Les magistrats du parquet du siège comme du parquet se sont déployés, avec des audiences, le soir, la nuit, le week-end, le dimanche. La République a été tenue dans le département, sans humilier mais avec efficacité. Les juges jugeaient, les procureurs requéraient, pendant que leurs tribunaux brûlaient ». Ce retour d’expérience, avec un rapport sur les relaxes en attente, permet de mieux se préparer aux Jeux olympiques et paralympiques 2024, un enjeu énorme pour la juridiction. « Il faut être prêt à faire face au traitement judiciaire d’actes de délinquances liées à cet événement hors norme », a reconnu Marc Cimamonti.
Les JO 2024 : en ligne de mire
En effet, l’importance de l’événement est considérable : 650 000 spectateurs inscrits pour assister aux compétitions, 41 sites retenus, 11 millions de touristes supplémentaires de mai à septembre en Île-de-France. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles « la justice est en première ligne, a avancé le premier président Jean-François Beynel. Une telle manifestation, par la masse des personnes présentes sur la région, par l’importance des déplacements, mobilise notre institution qui doit assurer la sécurité et la paix publique », a-t-il rappelé, tant sur les fonctions pénales (interpellation des personnes délinquantes) que civiles (contentieux de contrats liés à l’hébergement des visiteurs, litiges relatifs à la consommation ou liés aux transferts de fonds entre particuliers, contrôles renforcés qui vont aboutir au « repérage de mineurs non accompagnés ou d’étrangers en situation irrégulière »).
Il a tenu à rappeler que la justice est mobilisée très en amont : il faut anticiper une activité plus importante le temps des JO en organisant le déstockage des dossiers contentieux, civils et pénaux. Et si ce temps de préparation a débuté il y a déjà plusieurs mois, il s’étendra aussi au-delà pour « organiser la gestion des affaires renvoyées » et « des suites judiciaires qui impacteront notre travail bien après que la flamme et les lumières soient éteintes ».
Contrairement aux idées reçues, l’attention ne doit pas se porter seulement « sur les lieux où se tiendront les compétitions sportives ». Le président estime même que c’est précisément dans ces zones que la sécurité sera renforcée, avec la présence de cordons de sécurité. Marc Cimamonti a lui évoqué une « politique pénale pour les affaires criminelles », qui comprendront la question du dopage, la contrefaçon de billets, la médecine légale, y compris pour les vivants en cas d’atteinte physique aux personnes. Il s’est attelé à la sensibilisation des experts interprètes, prêts à être mobilisés lors des gardes à vue, face à des mis en cause venant potentiellement du monde entier.
En résumé, c’est un ressort qui se tient prêt et, déjà mobilisé, que les chefs de juridiction ont présenté.
Des effectifs supplémentaires
Pour ce faire, les effectifs des magistrats ont été gonflés, mais moins que prévu. « Les effectifs promis en février 2023 ne seront pas au rendez-vous », a confirmé Marc Cimamonti. Mais s’il a reconnu un peu de « déception », il ne fait pas état d’une « préoccupation » particulière. Jean-François Beynel a complété : « ces allocations supplémentaires nous obligent, ce d’autant plus qu’elles ont été accordées en priorisant nos juridictions au détriment de certaines autres cours ». Il s’est dit « sensible à cette solidarité ». Ainsi les cours d’appel où se déroulent des compétitions sportives (Paris, Aix, Versailles) ont été privilégiées au détriment d’autres cours d’appel où les taux de vacance augmentent mathématiquement (Amiens, Poitiers).
Ces moyens néanmoins bienvenus permettront de mettre en place « un dispositif adapté à d’éventuelles situations de crise » : renfort du plateau de permanence des parquets, audiences de comparutions immédiates supplémentaires, renfort des permanences du juge des enfants et juges des libertés, dispositif de soutien par la délégation de magistrats d’autres parquets ou du parquet général, et dispositif de congés aménagés afin d’avoir une présence renforcée sur la période du 15 juillet au 15 août. « Entre une arrestation et une comparution immédiate, il se passe un ou deux jours, non pas 15 minutes », a reprécisé le premier président Jean-François Beynel, convaincu que ce laps de temps permet une montée en puissance des juridictions face à une recrudescence des comparutions immédiates, le cas échéant.
« Nous ne savons pas comment cela va se passer. Qui aurait pu dire en mai qu’il y aurait des émeutes urbaines en juin ? », rappelle-t-il. « Et le pire n’est pas certain. Mais il faut se préparer aux différentes situations ».
La réaffirmation de l’État de droit
Autre sujet de préoccupation du premier président : l’état de droit. Jean-François Beynel a regretté certaines attaques. « Les juges, par leur action, seraient devenus les gêneurs, qui par la simple application de la loi et de la jurisprudence, bloqueraient évolutions et avancées ». Il a tenu à rappeler que « les juges, en appliquant les normes internationales et la jurisprudence des juridictions européennes, ne prennent pas le pouvoir mais remplissent leur devoir ». Il a ainsi réaffirmé la nécessité des « valeurs supranationales » communes : avocat en garde à vue, droit au silence devant les juridictions pénales, respect du droit des usagers face aux clauses léonines dans le sens de la consommation, protection des données… Il s’est ainsi satisfait des « moyens importants » octroyés à la justice par les pouvoir publics.
Et liant ce sujet de l’État de droit aux Jeux olympiques, il a également déclaré qu’il « n’y a pas de JO sans état de droit ». « Pour gérer un tel événement, il existe deux modèles : le modèle chinois, dans lequel il n’y a pas de libertés individuelles, pas d’internet, pas de liberté de circulation et une forme de confinement ». Résultat : une délinquance réduite mais une absence d’État de droit. Face à lui, le modèle londonien, avec le renforcement des contrôles et la montée en puissance des effectifs judiciaires [même si leur système est différent du nôtre, il s’en rapproche, NDLR] où le pénal est assuré par des citoyens magistrats ». Pour le président, donc, « les JO se gèrent aussi avec les lunettes de l’État de droit », à l’européenne. La contrepartie : il faut du judiciaire. C’est ce à quoi Jean-François Beynel et Marc Cimamonti – et l’ensemble de leur communauté judiciaire – vont s’atteler pour cette nouvelle année judiciaire.
Référence : AJU012j4