Bobigny : une audience de rentrée sous le feu des Jeux olympiques et du pôle Violences intrafamiliales

Publié le 07/02/2024
Bobigny : une audience de rentrée sous le feu des Jeux olympiques et du pôle Violences intrafamiliales
Tribunal judiciaire de Bobigny

Le 22 janvier dernier, les chefs de la juridiction de Bobigny organisaient leur traditionnelle audience solennelle de rentrée. L’occasion de faire le point sur une année marquée par les violences urbaines, alors que 2024 se déroulera sous les auspices des Jeux olympiques, préparés y compris du point de vue judiciaire.

À la mi-janvier se tenait à Bobigny le procès de l’affaire Théo Luhaka. Quelques jours après, ce fut l’occasion pour le président du tribunal judiciaire, Peimane Ghaleh-Marzban, de réaffirmer, en guise de propos introductifs à l’audience solennelle de rentrée, « l’importance de l’audience publique à travers des débats sereins, emprunts de respect, ainsi que les vertus de l’acte de juger, en ce qu’il peut apporter de l’apaisement ». Et il en fallait dans ce dossier très sensible.

Un tribunal ancré dans son territoire et dans la société

Le président Peimane Ghaleh-Marzban a tenu à rappeler la perspective générale de modernisation de la juridiction – tant sur le plan numérique, avec le développement de la dématérialisation grâce au renforcement des équipements et l’avènement progressif de la procédure pénale numérique –, ou matériel avec le projet d’extension du tribunal qui sera finalisé en 2027.

Le président s’est satisfait de l’augmentation des effectifs, de 140 magistrats à 147 en janvier 2024 et jusqu’à 149 en septembre 2024. Le nombre de juristes assistants passera, lui, de 17 à 27, tandis que les effectifs du greffe atteignent 468 agents (contre 443), une augmentation malheureusement non proportionnelle aux besoins, et l’a rappelé Peimane Ghaleh-Marzban, « on ne peut envisager une action juridictionnelle, sans un travail en synergie avec le greffe ».

Côté parquet, le procureur de la République, Éric Mathais, a répondu aux craintes de certains, qui pensent que ces renforts seront temporaires. « Nous envisageons avec le président que certaines audiences de « déstockage » ou de « délestage » créées pour 2024, deviennent à terme des audiences régulières, spécialisées dans certains contentieux, pour réduire les délais d’audiencement ».

Un pôle civil à l’activité en hausse

Sur l’activité du tribunal, le président a rappelé que si le tribunal judiciaire apparaissait régulièrement pour des dossiers pénaux, la moitié de son activité relève du civil (pan en augmentation significative passant de 27 311 en 2022 à 31 878 nouvelles affaires civiles en 2023). Concernant les affaires familiales, elles sont moins nombreuses en cours (7 813 en 2022 ; 6 077 en 2023) mais les délais sont toujours trop longs (environ 8-9 mois pour les divorces ; entre 7 et 10 mois pour les procédures hors divorce), et ce, malgré les circuits courts et la présence de juristes-assistants, d’où la nécessité d’un 12e nouveau cabinet.

En revanche, motif de satisfaction au service du surendettement. « Avec l’appui d’un juriste assistant et d’un contractuel, l’équipe de la chambre a permis de résorber le stock d’environ 1 100 dossiers en 2021, avec des délais d’audiencement, qui sont passés de 20 mois au sortir de la crise du Covid, à 2 mois à ce jour », a précisé le président.

Le pôle social a vu les saisines augmenter (1 870 en 2022 à près de 2 400 en 2023), avec la reprise des actions de recouvrement par des organismes de prestations sociales. La politique de l’amiable, dans laquelle est déjà engagé le tribunal, doit se prolonger par deux axes : en matière prud’homale, le conseil des prud’hommes de Bobigny doit pouvoir proposer la médiation au stade du bureau de conciliation et d’orientation. La deuxième direction est celle de l’audience de règlement amiable, un dispositif complètement opérationnel dont il faut s’emparer. Enfin, le contentieux aérien (indemnisation forfaitaire entre 300 et 600 euros en fonction du retard d’un avion), qui concerne majoritairement le tribunal d’Aulnay-sous-Bois avec plus de 12 000 requêtes préoccupe le président. Ce dernier a souligné la nécessité de modifications textuelles, afin de « sortir ce contentieux du giron judiciaire, ce qui permettra de redéployer ces moyens vers des contentieux qui le méritent vraiment », en premier lieu les services pénaux.

Les Jeux olympiques 2024

Le tribunal judiciaire s’est montré déterminé à être à la hauteur des défis nationaux de l’année 2024. Dans la perspective des JO de cet été, c’est dès la fin 2022, que l’activité du JLD et les comparutions immédiates se sont trouvée en hausse, faisant suite aux opérations zéro délinquance. Le tribunal a d’ores et déjà adapté son activité au cours des mois de juillet et août 2024 en trouvant le juste équilibre entre activité civile et activité pénale.

Sur le volet pénal, le président a évoqué une montée en puissance progressive, jusqu’à atteindre « trois comparutions immédiates » par jour du 29 juillet au 13 août. Durant cette période, les permanences des juges d’instruction, juges des enfants et JLD seront renforcées. Côtés effectifs, le tribunal s’est organisé pour mobiliser l’ensemble des équipes (avec des magistrats placés) et se satisfait de la décision du préfet de Paris d’augmenter le nombre de fonctionnaires de police au dépôt (passant de 97 à 135).

Côté parquet, le procureur de la République, Éric Mathais, a confirmé que « l’entraînement pour les JO a commencé dès 2022 et 2023 avec des opérations zéro délinquance qui ont généré des hausses significatives des gardes à vue (+10 % sur le 1er quadrimestre 2023), et du nombre d’enquêtes soumises au parquet ». Comprendre : « cet événement ne sera pas sportif que pour les athlètes : dossiers nouveaux, sans doute nombreux et sensibles, permanences renforcées, audiences supplémentaires, congés pris en décalé ». Il a rappelé que la moitié des compétitions aura lieu en Seine-Saint-Denis, qui compte également le village des médias et des athlètes, le Stade de France et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. « Notre objectif sera d’apporter une réponse pénale rapide, tout en maîtrisant l’afflux de ces affaires sur la structure de la juridiction, en évitant qu’elles n’embolisent les chambres correctionnelles », a-t-il précisé. La juridiction devra reprendre son rythme à la rentrée et juger le « courant », car « malheureusement les JO ne suspendront pas pour autant les violences intrafamiliales, la délinquance routière ou les violences entre bandes ».

La création du pôle VIF et les violences urbaines

L’année 2024 marque l’avènement du pôle Violences intrafamiliales au sein de laquelle, avec la création d’une 31e chambre, même si le nombre d’informations judiciaires en stock est en baisse (de 506 à 372). Le tribunal a fait le choix d’une filière, avec des référents dans l’ensemble des services concernés : affaires familiales, application des peines, tribunal pour enfants, service correctionnel, service de l’instruction et bien évidemment au parquet. Le recours au nouveau logiciel SISPoPP permettra le partage des informations concernant une personne condamnée ou poursuivie. L’objectif est aussi de spécialiser les magistrats correctionnels à ces contentieux, et d’augmenter la capacité de jugement dans d’autres tribunaux de proximité. La collaboration toujours active avec SOS Victime 93 a été soulignée, tout comme la nécessité d’améliorer la prise en charge des auteurs placés sous contrôle judiciaire d’un point de vue sanitaire.

Le parquet, par la voix d’Éric Mathais, s’est satisfait que ce pôle qui permettra « la circulation de l’information en temps réel », en vue d’être « performant et efficace ».

Le sujet des violences urbaines a été naturellement abordé. Le département a particulièrement été touché : 45 000 policiers déployés, plus de 11 000 incendies sur la voie publique, plus de 6 000 véhicules et 2 500 bâtiments dégradés ou incendiés. La réponse judiciaire a été « immédiate », lisible et cohérente, et selon Éric Mathais, a pu participer à une décrue assez rapide. À ses yeux, le message de l’ensemble de la communauté judiciaire a été fort, martelant la nécessité de la légalité et la qualité des procédures, du respect de la présomption d’innocence, de ne répondre que de sa propre responsabilité pénale et de l’individualisation de la peine. Une gageure quand 200 gardes à vue ont été comptabilisées dans la nuit du 2 au 3 juillet (sur 600 GAV au total et 260 défèrements : 100 mineurs, 160 majeurs passés en comparution immédiate). Le procureur a estimé que les services de police judiciaire ont été à la hauteur, avec ce double objectif de « rétablir l’ordre républicain sans créer de nouveaux drames ». Conclusion : « la justice est prête à répondre aux défis d’une crise qui peut survenir brutalement, en espérant que nous n’ayons pas à en faire à nouveau la démonstration au cours de l’été 2024… »

Les juristes assistants

L’équipe autour du magistrat est renforcée par la présence au parquet de 3 juristes assistants, mais avec encore un trop fort turn-over. Éric Mathais a ainsi dit attendre le futur statut d’attaché de justice. « La présence d’une juriste assistante dédiée aux saisies d’avoirs criminels illustre bien les progrès que nous sommes en mesure d’accomplir lorsque l’équipe est renforcée », s’est-il satisfait. En 2023, 42 millions ont ainsi été saisis par le tribunal de Bobigny (+8 %).

Il a évoqué le circuit court favorisé par Tracfin, qui a permis de saisir plus de 6 millions de fonds de sociétés présentant les caractéristiques du blanchiment. Il a aussi souligné le développement des amendes dans les commissariats (530 000 euros depuis janvier 2023). Sur la contribution citoyenne (instaurée en avril 2021) soit le paiement d’une somme au profit d’une association d’aide aux victimes, c’est un bon moyen de réparer des troubles sociaux. Ainsi depuis 1er janvier 2023, SOS victime a touché plus de 81 000 euros.

Les enjeux 2024

En dehors des Jeux olympiques, le président Peimane Ghaleh-Marzban a réaffirmé sa détermination dans la lutte contre la grande criminalité, avec une envie de renforcer « l’hybridation » entre la lutte contre la criminalité organisée et la lutte contre la délinquance financière. Fort de quatre cabinets financiers et de la possibilité de co-désigner des juges d’instruction,  « l’aspect financier, comme le blanchiment d’argent pourra être totalement abordé dans des dossiers de trafic de stupéfiants ou de proxénétisme », a précisé le président. « Grâce à l’affectation d’une juriste assistante sur le sujet des confiscations, 5 biens immobiliers ont été saisis dont un immeuble de 13 appartements à Saint-Ouen, d’une valeur totale d’environ 6 millions d’euros, dans des affaires de proxénétisme », signe de l’efficacité du dispositif.

Il a également traduit sa volonté d’« enraciner le juge dans la réalité du territoire », faisant référence à la priorité accordée au « jugement des trafics de stupéfiants à l’ouest du département et en particulier sur Saint-Ouen et L’Ile-Saint-Denis », qui ont entraîné des rivalités mortelles les années précédentes.

Un autre enjeu prend le nom de surpopulation carcérale, comme avec la maison d’arrêt de Villepinte et son taux d’occupation est de 190 %. Le presque doublement des libérations sous contraintes n’a malheureusement pas eu d’effet sur le taux d’occupation, déplore Peimane Ghaleh-Marzban. Il faut donc poursuivre les efforts. Éric Mathais a pourtant souligné que le taux d’octroi de cette libération sous contrainte à la maison d’arrêt de Villepinte était en novembre dernier de 88 % (contre 43 % en Île-de-France et 51 % à échelle nationale). Il faudrait davantage examiner de manière anticipée les réductions de peine et atteindre plus vite les délais de recevabilité de ces demandes, tout en gardant une qualité dans la réinsertion, a suggéré le président.

Autre sujet de préoccupation : la situation de la protection de l’enfance, qualifiée d’« alarmante », par le président, avec des délais d’exécution des décisions judiciaires d’aide éducative en milieu ouvert en augmentation, une hausse du nombre de saisines civiles de 23 % (essentiellement des mineurs non accompagnés). Le juge est dans une position « cornélienne » : protéger les personnes en détresse ou protéger un système de protection de l’enfance déjà étranglé, a-t-il rappelé.

« Ne pas tout attendre du juge »

« Dans bien des cas, l’on attend du juge qu’il résolve toutes les situations et tous les problèmes ». Peimane Ghaleh-Marzban a ainsi rétorqué aux critiques faciles de ceux qui estiment les juges laxistes ou ultra-répressifs, alors que le seul devoir des juges est d’appliquer la loi. « Le juge s’emploie à être neutre et impartial ». Éric Mathais, à sa suite, a également tenu à rappeler quelques principes essentiels de l’État de droit, rappelant que « quels que soient les changements de majorité politique au gouvernement et au Parlement, la justice doit être préservée de tout risque de politisation dans la nomination et dans le processus disciplinaire des magistrats du parquet, en particulier des procureurs de la République ». Une nécessité quand les régimes illibéraux se multiplient en Europe, et que « c’est d’abord le système judiciaire que ces régimes déconstruisent », a précisé Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation qu’il a cité dans son discours de rentrée.

Si l’année 2023 a été une année remplie (gestion des violences urbaines, projet de création du pôle VIF), l’année 2024 ne sera pas en reste, avec l’horizon des JO 2024 – et l’activité juridictionnelle en lien – et le pôle VIF qui devrait renforcer l’efficacité de la lutte contre un fléau social combattu de longue date dans ce département.

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