Rentrée solennelle du TJ de Bobigny

Le 93, un département emblématique des défis de la criminalité, du vivre ensemble et de l’intégration républicaine

Publié le 26/02/2025

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Après la réussite des Jeux olympiques, 2025 s’annonce une année aux enjeux multiples : augmentation de l’activité criminelle, moyens humains et matériels à stabiliser… En cette audience de rentrée, le président du TJ de Bobigny, Peimane Ghaleh-Marzban et le procureur de la République, Éric Mathais ont rappelé les enjeux majeurs de leur juridiction.

À peine la réussite des Jeux olympiques passée, suscitant les vifs remerciements du président, Peimane Ghaleh-Marzban à l’ensemble de son tribunal, l’année 2025 présente déjà plusieurs défis de taille. D’abord, il entend « bâtir pour mieux servir », par ce qu’il a appelé le « rehaussement immobilier ». Le projet d’extension du tribunal arrive en effet à temps face à un lieu « saturé et vétuste ». Dans l’attente d’un arbitrage budgétaire, il a rappelé les nouveautés envisagées, salles d’audiences publiques ou de cabinet, dépôt modernisé, tout comme l’adaptation d’une salle pour accueillir une troisième session permanente de la cour criminelle départementale, nécessaire face au stock élevé de dossiers criminels en instance de jugement (193 dossiers, dont 66 dossiers relevant de la cour criminelle départementale). Cette salle sera fonctionnelle dès le 24 février, ce dont se réjouit également le procureur de la République, Éric Mathais. Ce dernier détaille que cette augmentation brutale des dossiers criminels correspond à l’entrée en vigueur de la cour criminelle départementale, qu’il ne remet pas en question, mais qui juge en moyenne en deux jours les affaires de viols ou assassinats, meurtres, tentative de meurtres ou violences criminelles. « Le service des assises de Bobigny n’est pas en mesure de faire face au flux des dossiers entrants, et encore moins en état de résorber le stock. La priorité est donnée aux dossiers comportant des détenus », a expliqué Éric Mathais, entraînant des justiciables qui attendent leur procès durant plusieurs années.

Dématérialiser pour plus de célérité

Déjà appliquée en ce qui concerne l’ouverture des flux de transmission des procédures entre les services de police et de justice pour les convocations des majeurs en janvier 2024, tout juste ouverte pour les comparutions sur reconnaissances préalables de culpabilité et le tribunal de police, la procédure pénale numérique, véritable « rehaussement technologique » devrait permettre d’améliorer et fluidifier le circuit pénal et, partant, l’exécution et l’application des peines, estime le président. Le déploiement numérique se décline aussi grâce à ImprimFIP avec la DGFiP (afin de diminuer les affranchissements de 40 %), le déploiement de Mon suivi justice à l’application des peines ou encore l’apposition d’un QR code sur les convocations devant le juge aux affaires familiales, permettant d’avoir accès à une vidéo présentant le déroulement d’une audience.

Dimensionner pour mieux juger

Enfin, le rehaussement juridictionnel passe, pour le président, par l’augmentation des moyens déjà amorcé depuis 2017, mais qu’il faut poursuivre, a-t-il demandé devant le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, présent en ce jour d’audience de rentrée, plaidant pour un objectif de 166 magistrats en 2027, contre 148 aujourd’hui. Il a spécialement insisté sur la situation du greffe, largement en sous-effectif, entraînant des questions sur le rôle et positionnement des directeurs de service de greffe. « Ce sujet est particulièrement important à Bobigny qui connaît un déficit d’encadrement intermédiaire dans une juridiction frappée par le turnover des fonctionnaires, quasi exclusivement sortants de l’École nationale des greffes et nécessitant des temps de formation importants », a-t-il exprimé.

Cette demande de moyens est également formulée par Éric Mathais. « Les responsables politiques pourraient avoir l’impression que ces moyens se sont dispersés, sans effet notable, comme s’ils s’étaient perdus dans les sables », a-t-il glissé, mais ce serait se tromper. Car ces moyens ont permis de tenir plus d’audiences, notamment avec la création de la 31e chambre, principalement dédiée au jugement des violences intrafamiliales, au tribunal pour enfants, plus d’audiences de mise en état pénale… Sur les violences familiales, ce qui a le plus changé, « c’est la façon dont la division du parquet traite ces dossiers », se satisfait Éric Mathais.

Il souligne une autre amélioration : celle des saisies des avoirs criminels. « Lorsque l’on parle de lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic, nous ne sommes pas tous d’accord sur les méthodologies possibles, entre renforcement de la JUNALCO ou création d’un nouveau parquet national. Nous sommes en revanche tous d’accord sur un point : le nerf de la guerre, c’est l’argent sale », a-t-il acté. Quelques chiffres : le montant total saisi en 2024 par le seul parquet de Bobigny (sans les saisies par les juges d’instruction) avoisine les 42 millions d’euros (+ 47 % par rapport à 2023). Aussi, a continué le procureur, avec ces effectifs supplémentaires, la justice à Bobigny a été la hauteur de l’événement planétaire des Jeux olympiques.

Le renforcement des effectifs des magistrats du parquet (54 en 2017 à 63 magistrats en 2023) entraîne, selon lui, un « ‟un effet levier” démultiplicateur, dans une sorte de cercle vertueux d’efficience ». Éric Mathais demande enfin, lui aussi, une stabilisation des moyens et une cohérence des effectifs (entre parquet et siège), au risque de devoir demander des suppressions d’audience.

Au civil, au pénal, les priorités de la juridiction

La juridiction civile a plusieurs priorités, a détaillé Peimane Ghaleh-Marzban : d’abord, le développement de l’amiable et de l’action des conciliateurs de justice ; le renforcement de la rapidité du traitement des affaires familiales (réduction du délai de traitement des procédures de divorce, diminution des stocks et réduction du délai d’attente pour les dossiers hors divorce) ; favoriser une justice qui répond aux enjeux de la vulnérabilité (avec un contentieux des affaires de sécurité sociale qui augmente de manière exponentielle) pour lequel des moyens supplémentaires ont été demandés. Enfin, une justice qui a du sens : il a ainsi cité le tribunal d’Aulnay qui « s’est mobilisé en son sein en créant un pôle du contentieux aérien, traitant de manière innovante ce contentieux » qui devrait relever de la médiation obligatoire.

En matière pénale, le président a rappelé l’importance du pôle violences intrafamiliales (VIF), créé par décret en novembre 2023, qui comprend entre autres l’existence de magistrats référents VIF dans tous les services ainsi que des magistrats habilités à traiter ce contentieux (31e chambre correctionnelle dédiée, avis systématique du juge des enfants pour le retrait de l’autorité parentale…). Le tribunal de Bobigny, « c’est 50 audiences pénales par semaine dont 15 sont susceptibles de traiter de ce contentieux », a précisé le président. « Ce pôle VIF marque un tournant dans la culture de notre juridiction ».

Enfin, le tribunal pour enfants est sous-dimensionné face à une activité pénale en hausse. Face à une « jeunesse en souffrance », Peimane Ghaleh-Marzban déplore une attente de deux ans des mesures de milieu ouvert concernant l’assistance éducative. La protection judiciaire de la jeunesse fournit de grands efforts pour la prise en charge des mineurs délinquants, qui est de qualité, mais certaines mesures restent en attente. Enfin, des initiatives ont été prises depuis 2020 entre le tribunal de Bobigny et le conseil départemental pour lutter contre les violences sexuelles faites aux mineurs, enrôlés par les réseaux de proxénètes via, notamment, les réseaux sociaux. La Seine-Saint-Denis concentre 42 % des victimes mineures de France. À ses yeux, il est nécessaire de faire de cette lutte « une priorité juridictionnelle ».

En ce qui concerne la criminalité organisée en lien avec la délinquance financière, Peimane Ghaleh-Marzban a rappelé la naissance de la première pierre de ce nouvel édifice juridictionnel, avec la création au sein du service de l’instruction du pôle économique et financier. Ce pôle a permis l’instruction de quelques gros dossiers, comme un dossier de blanchiment en bande organisée portant sur plus de 36 millions d’euros ou un dossier d’escroquerie en bande organisée représentant un préjudice à hauteur de 4,6 millions d’euros. La saisie pénale a également été renforcée, par exemple dans un dossier d’aide au séjour irrégulier, blanchiment et habitat indigne, 11 biens immobiliers dont un hôtel à Paris pour un montant de 7,40 millions d’euros.

Le président a également tenu à saluer la vitalité des chambres correctionnelles, qui ont réalisé « un travail remarquable depuis 2022 » (le stock de dossiers d’information judiciaire est passé de 600 dossiers en 2022 à 245 en attente). La comparution immédiate reste cependant en constante augmentation. Le siège et le parquet partagent « le constat d’une saturation de nos chambres correctionnelles spécialisées, en particulier pour le traitement des trafics de stupéfiants ou de la délinquance financière » (dossiers de plus en plus complexes entraînant des audiences tardives). Le procureur Éric Mathais a lui aussi bien souligné la gravité des dossiers reliés au narcotrafic en Seine-Saint-Denis, avec des homicides et tentatives d’homicides (15 morts, 73 scènes de tentatives d’homicide volontaire, etc.) Mais il souligne de belles réussites, comme c’est le cas pour la ville de Saint-Ouen, longtemps « considérée comme le principal ‟hypermarché d’intérêt régional” du trafic de cannabis de la couronne parisienne », et dont 4 des 7 points de deal ont été anéantis. Il recommande ainsi « des relations étroites et fluides avec la municipalité pour une approche globale », des « enquêtes au long cours pour comprendre l’économie des trafics et identifier les niveaux supérieurs des trafiquants », une « mobilisation maximum des magistrats du parquet, des magistrats instructeurs, des juges des libertés et de la détention, et même de la chambre de l’instruction de la cour d’appel », et un « service après-vente » des services de police (pour s’assurer de la non-réouverture des points de deal). Face à l’ampleur des dossiers, Peimane Ghaleh-Marzban estime que « pour permettre le traitement prioritaire de ces dossiers relevant de la criminalité organisée en lien avec la délinquance financière », la meilleure idée est « la création d’un pôle » infra-JIRS (juridictions interrégionales spécialisées), « qui constitue une concentration des moyens dans une logique de démantèlement de l’éco-criminalité ». Le président est convaincu que ces pôles permettraient de traiter prioritairement les dossiers d’envergure dans des bassins de délinquance aiguë. Éric Mathais ne dit pas autre chose quand il énonce que : « Le niveau d’activité de la Seine-Saint-Denis en la matière mérite à l’évidence une attention et un dispositif particulier ».

Enfin, le service de l’application des peines est saturé par une suroccupation structurelle dans la maison d’arrêt du Centre pénitentiaire de Seine-Saint-Denis (plus de 200 % de taux d’occupation), ou encore dans le centre de semi-liberté de Gagny à 220 %, surpopulation carcérale que dénonce également le procureur. Malgré une politique d’aménagement de peine active, Peimane Ghaleh-Marzban déplore la seule régulation carcérale.

Des efforts de moyens ont été apportés mais, pour Éric Mathais, « il reste tant à faire dans ce département si singulier et si emblématique de ce que sont les défis de la criminalité, du vivre ensemble et de l’intégration républicaine ».

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