Le tribunal judiciaire de Nanterre en quête de sens
Après le décès de la magistrate Marie Truchet en pleine audience en octobre 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a fait de l’amélioration des conditions de travail le cœur de son programme pour l’année 2023, décliné pendant l’audience solennelle de rentrée le 6 février dernier. Procureur et président de la juridiction judiciaire des Hauts-de-Seine ont également voulu mettre en valeur la création du pôle « cold case », et celle d’un pôle dédié aux infractions environnementales.
Elsa Sabado
L’audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Nanterre, le 6 février dernier, ne pouvait pas ne pas être dédiée à la mémoire de la magistrate Marie Truchet, terrassée à 44 ans, en robe, alors qu’elle présidait une audience de comparutions immédiates le 18 octobre 2022. Benjamin Deparis, président de la juridiction judiciaire des Hauts-de-Seine, a donc introduit la cérémonie en rappelant à quel point cette juge s’était engagée dans sa fonction, « au point d’y laisser sa santé, et même sa vie ». Il a tenu à saluer la solidarité, la dignité, et l’exemplarité avec laquelle l’ensemble de la communauté juridique a répondu à ce tragique événement, avant d’appeler, aux côtés du procureur général, Pascal Prache, à un temps de recueillement.
Renforcement de la chaîne pénale
Cet événement tragique a contraint l’institution judiciaire à pallier le manque d’effectifs de la juridiction, avec l’arrivée en ce mois de janvier de dix nouveaux magistrats du siège, pour cinq départs. « Bien que cela soit insuffisant, il faut saluer l’inversion de la tendance », souligne Benjamin Deparis, qui nourrit aussi des attentes quant aux 1 500 créations de postes de magistrats et 1 500 postes de greffiers annoncés dans le cadre des États généraux de la justice, le 5 janvier dernier, notamment pour compenser les absences. « Les annonces faites en matière de recrutement sont très positives. L’effort consenti par la nation doit être salué, a fortiori dans une époque de déficit majeur », se réjouit également le procureur de la République, Pascal Prache.
Sans surprise, la question des conditions de travail sera au cœur du travail de la juridiction cette année. Depuis le 1er janvier, le contentieux de proximité a été renforcé dans le cadre d’une réforme territoriale des ressorts d’Asnières et d’Antony, spécialisés sur les questions de surendettement et de nationalité. À la fin du printemps, une audience en matière de violences intrafamiliales sera créée à Boulogne-Billancourt. « Le pôle Famille, en situation de déni de justice, avec un délai d’audiencement compris entre 15 et 20 mois, est renforcé par trois cabinets depuis le 2 janvier », annonce le président de la juridiction.
Un tribunal à la pointe de l’innovation
Benjamin Deparis et Pascal Prache ont ensuite tenu à saluer le temps record dans lequel s’est installé à Nanterre le nouveau pôle « cold case », dédié à élucider les affaires non résolues. Créé par un décret le 24 février 2022, entré en vigueur le 1er mars, le pôle « cold case » a rassemblé deux magistrates dès septembre 2022 : elles traitent actuellement 72 dossiers et visent la centaine à la fin du 1er semestre 2023. Autres éléments au bilan, le chantier de rénovation énergétique qui a suscité le déménagement de 200 fonctionnaires, et qui continuera en 2023 et 2024, ainsi que la nomination d’une nouvelle directrice de greffe, Camille Beaume.
Benjamin Deparis compte par ailleurs renforcer les liens avec l’université de Nanterre, en faisant paraître, à l’occasion des cinquante ans du tribunal, une revue de ses plus grandes décisions, commentées par des professeurs de droit de Paris- Nanterre. Le tribunal est également le sponsor de deux start-ups d’État : la première est une application pour smartphone, permettant de convoquer les prévenus chez le juge d’application des peines directement à la sortie de leur audience. Le taux de présence des 3 500 condamnés qui l’ont expérimentée a d’ores et déjà permis de le faire grimper de 40 à 75 %. La seconde est une application permettant de piloter plus finement les fonctions RH.
Des difficultés qui persistent
« Vos difficultés ne seront pas tues, elles sont évoquées partout, je crois bien les connaître depuis six mois », a affirmé Benjamin Deparis, énumérant ensuite les délais d’audiencement du pôle Famille, la charge des audiences spéciales du pôle correctionnel, la situation très dégradée des juges des libertés et de la détention (dont deux postes sur quatre ne sont pas assurés depuis un mois, « au pire moment », à savoir celui de la mise en place d’un local de rétention administrative). Les difficultés persistent aussi au tribunal pour enfants, où le greffe est sous tension, notamment du fait des délais légaux liés au Code de la justice pénale des mineurs, dans les tribunaux de proximité (du fait de la vacance de certains postes), dans les chambres civiles (« embolisées par des affaires lourdes et complexes »( chez les juges d’applications des peines (dont le nouveau logiciel est défaillant), au pôle social (qui peine à traiter les trois années de stock et qui s’y emploie pourtant dans une température parfois inférieure à 10 degrés). « En dépit de cela, nous voulons remonter en Champions League, et des jours meilleurs adviendront, si vous avez l’envie d’avoir envie », termine Benjamin Deparis sur une note d’espoir, avant de laisser la parole au procureur de la République, Pascal Prache.
Le parquet « met le paquet » sur les violences intrafamiliales
L’activité du parquet fut marquée par la montée en charge de la question des violences intrafamiliales, qui ont augmenté de 70 % en quatre ans. Une proportion non négligeable donc, des 108 000 procédures transmises aux 38 parquetiers en 2022. « Outre la gestion quotidienne des affaires signalées par nos enquêteurs, nous avons développé les dispositifs de protection, déployant 40 Téléphones Grave Danger, et 17 bracelets anti-rapprochement ». Le parquet a également affiné la réponse pénale, adaptant les stages proposés aux types d’infractions commises. Le parquet a procédé à 674 déferrements en 2022, ce qui représente 9 % de l’activité du tribunal correctionnel. Le procureur compte aussi mener de front la lutte contre la radicalisation, celle contre les infractions commises à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique, contre les violences crapuleuses et l’économie souterraine.
« Il est aussi impératif d’être présents sur les infractions de basse intensité qui polluent le quotidien de nos concitoyens, tels que les incivilités et les trafics de rue, sauf à renvoyer l’image faussée de l’impunité des auteurs et de la déliquescence de l’action de l’État », poursuit Pascal Prache. Le procureur mène donc une politique de développement des partenariats avec les mairies (des protocoles ont été passés avec 13 d’entre elles), des « cellules judiciaires de traitement de la délinquance » (mises en place en 2021) ont permis de réaliser 200 interpellations autour des trafics et de l’économie souterraine, et des « groupements locaux de traitement de la délinquance » (GLTD) ont été mis en place pour faire face aux rixes entre des habitants de Suresnes et Rueil ; d’autres seront installés contre les rixes qui opposent les habitants d’Asnières à ceux de Gennevilliers. Un dialogue a été installé avec le parquet de Paris pour traiter les rixes qui opposent les habitants de la capitale et ceux de ses banlieues, afin de rendre l’action de l’État « visible et efficiente ».
La simplification, une solution à la saturation ?
Autre action du parquet : l’aide aux services de police du 92, engorgés par les stocks de procédures. Les parquetiers, lors d’une cinquantaine de déplacements, ont permis de traiter 20 000 d’entre elles, afin de desserrer « l’étau » dans lequel se trouvaient certains commissariats. Le développement de la permanence téléphonique vise également à écluser les masses de procédures…
Pour remédier à la saturation de l’institution judiciaire, Pascal Prache semble surtout compter sur la refonte et la simplification du droit envisagée par la Chancellerie. « Nous ne pouvons plus, face à la demande massive de nos concitoyens, considérer que la saisine du tribunal correctionnel est la réponse privilégiée », lui préférant la diversification des réponses pénales qui entraîneront, selon lui, une réduction des délais de réponses. Ainsi, à Nanterre, les ordonnances pénales ont progressé de 38 %, et les orientations en CRPC de 20 %. Il fonde également beaucoup d’espoirs sur la « composition pénale sur déferrement », qui permet au procureur de proposer une sanction à l’auteur des faits sans passer par un procès, et notamment en renforçant les possibilités de « travail non rémunéré, succédané des travaux d’intérêt général ».
La spécialisation du tribunal de Nanterre est, aux yeux du procureur, une autre manière de donner du sens à la justice. Il a ainsi mis l’accent sur la complémentarité entre le ressort de Nanterre et le pôle financier mis en place en 2017, sur la lutte contre la fraude aux intérêts de l’Union européenne, et a annoncé la création d’un pôle régional environnemental. Le tribunal veut aussi se saisir de la plateforme Thésée, mise en place par le ministère de l’Intérieur en 2022, qui permet de lutter contre la délinquance astucieuse sur internet. Le procureur a conclu son discours sur la nécessité, pour Nanterre, de se préparer pour faire face aux Jeux olympiques de 2024. De nouveaux chantiers à n’en pas douter pour ce tribunal dont l’activité est déjà au bord de l’implosion.
Référence : AJU007w3