Une réforme ambitieuse de l’institution judiciaire s’impose !

Publié le 06/02/2017

La Cour de cassation a tenu sa rentrée solennelle le 13 janvier dernier en présence du garde des Sceaux. Les hauts magistrats ont évoqué la nécessité d’une réforme ambitieuse des structures de l’institution, sans quoi toute augmentation de moyens sera inutile.

Un observateur étranger au monde judiciaire serait sans doute surpris du contraste entre l’actualité judiciaire telle qu’évoquée dans les médias et l’apparente sérénité des discours commentant cette dernière lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation. La veille, les magistrats nantais venaient de boycotter la rentrée solennelle du TGI pour protester contre l’insuffisance des effectifs du tribunal. Depuis des semaines, l’institution dans son entier s’indignait des offenses faites par le chef de l’État depuis des confidences maladroites aux journalistes1 jusqu’à la grâce contestée de Jacqueline Sauvage. Sans compter le choc ressenti l’an dernier lorsque les juges judiciaires ont découvert que l’exécutif leur préférait le juge administratif pour la gestion de l’état d’urgence. Mais à l’intérieur de la salle d’audience, en cette rentrée, toute cette fureur semblait appartenir à un autre monde…

« Les Français ont une justice saine, intègre »

Même le conflit direct qui venait tout juste d’opposer la Cour de cassation à la Chancellerie concernant une obscure extension des pouvoirs de l’inspection des services judiciaires accusée de remettre en cause l’indépendance de la cour fut laissée à la porte. Les hauts magistrats ont quand même réagi au climat d’hostilité à l’égard de l’institution. C’est ainsi que le premier président, Bertrand Louvel, a déclaré avec solennité à la fin de son intervention : « Les Français ont une justice saine, intègre, exempte de corruption et d’allégeance, ce qui est un bienfait immense dans le contexte international où nous vivons ». Plus offensif, le procureur général, Jean-Claude Marin, a qualifié d’insupportable le fait « d’entendre ou de lire des propos dévalorisants, méprisants et outrageants de hauts responsables de ce pays dont la parole est des plus écoutée ». Et celui-ci de mettre en garde : « Le respect de l’institution judiciaire passe, en premier lieu, par la considération, qui n’exclut pas la critique raisonnée, de ceux qui ont la belle mission de faire vivre la République. La légèreté dans le traitement de l’autorité́ judiciaire et de sa Cour suprême ne peut qu’alimenter l’image d’une justice dévalorisée, ravalée au rang d’administration subalterne, et entamer la confiance qu’elle doit susciter chez les citoyens ». En revanche, le sort du juge judiciaire sous l’état d’urgence qui avait tant agité les esprits l’an dernier n’a pas donné lieu à de quelconques développements. Faut-il y voir une forme de résignation ou simplement l’effet des élections à venir qui rendrait inutiles des protestations à l’égard du pouvoir en place ? L’autre grande polémique en lien avec la crise morale de l’institution a en revanche été abordée. Il s’agit de l’affrontement entre avocats et magistrats provoqué par la parution en juin d’un rapport de la Chancellerie sur la protection des magistrats mettant en cause directement les avocats2. Le rapport évoque en effet les avocats qui seraient de plus en plus nombreux à mener « une défense beaucoup plus agressive avec l’institution judiciaire, dans un but évident de perturber le cours normal de la justice. Ces stratégies de tension se diffusent désormais largement, y compris dans des barreaux qui n’étaient pas adeptes d’une défense de rupture, sous l’influence d’une part de quelques cabinets qui interviennent sur l’ensemble du territoire national, et d’autre part d’une nouvelle génération d’avocats qui n’hésitent plus à s’attaquer directement aux magistrats. Si ces comportements poursuivent incontestablement une volonté de déstabiliser les magistrats en charge des investigations, ils contribuent également à présenter ces derniers comme des ennemis, voire les relais de certains groupes criminels rivaux, avec tous les risques que cela peut comporter pour leur sécurité ». Bertrand Louvel l’a qualifié de courageux mais il a admis dans le même temps qu’ « on imagine aisément que des avocats aussi souffrent du comportement de certains magistrats ». À ses yeux, avocats et magistrats doivent se pencher ensemble « sur la question de leur déontologie commune dans leurs rapports mutuels, afin que cette question soit à l’avenir moins laissée à l’appréciation des personnes, et que les représentants des deux professions s’en saisissent davantage, d’une manière volontariste et constructive ». Une nécessité d’autant plus forte que la Cour de cassation a validé en décembre le droit pour un avocat de critiquer un magistrat à l’occasion de la fameuse affaire Morice3.

L’urgence d’une réforme structurelle

Mais le vrai sujet de cette rentrée solennelle, ce fut l’indépendance. Celle du parquet évidemment pour laquelle le procureur général, Jean-Claude Marin, plaide inlassablement et qui est sans cesse promise mais jamais mise en œuvre. « Comment ne pas regretter, à cet instant précis, que la réforme constitutionnelle, même limitée à la consolidation de la nécessité d’un avis conforme pour la nomination des magistrats du ministère public, réforme qui semblait pourtant recueillir un large consensus, n’ait pas pu aboutir pour des motifs qui, nous le savons tous, ne tiennent en rien au contenu du texte proposé. Sur cet aspect, comme hélas sur beaucoup d’autres, la justice attendra ! ». Et le procureur général de souligner à nouveau que cette indépendance ne doit pas effrayer : « l’indépendance souhaitée, répétons-le, est une indépendance du ministère public, organe collectif, indivisible et hiérarchisé composé de magistrats disposant de garanties statutaires et d’obligations déontologiques fortes, débiteur de la garantie de l’égalité des citoyens devant la loi et de la cohérence de l’exercice de l’action publique sur le territoire national ».

Mais il est une autre indépendance plus globale, que défendent les deux hauts magistrats, celle de la gestion de l’institution. Abordant le bilan d’activité de l’année, le président Bertrand Louvel a déclaré qu’il était bon. Et pour cause, la Cour a reçu 28 000 pourvois, mais elle en a jugé plus de 29 000, ce qui lui a permis d’entamer son stock de sorte que le délai de roulement s’établit à environ 14 mois en matière civile et six mois en matière pénale. De bons résultats que le premier président attribue à l’autonomie dont bénéficie la Cour. Les magistrats du siège à la Cour de cassation sont en effet nommés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Autrement dit, la Cour n’a pas à attendre une proposition de nomination de la Chancellerie qui peut ne jamais venir. Hélas pour la haute juridiction, elle est rattrapée par les difficultés des autres. Le garde des Sceaux lui a demandé en effet de repousser l’installation de ses nouveaux conseillers… pour ne pas pénaliser les cours d’appel. « J’ai répondu favorablement à cette demande dans un esprit de solidarité, même si cela ne fait que transposer la difficulté sur la Cour de cassation, tout en faisant savoir dans ma réponse qu’on ne saurait s’installer dans un système qui associerait la cour supérieure de l’ordre judiciaire à un dérèglement dont sa gestion autonome l’a préservée jusqu’à présent », a précisé Bertrand Louvel. « C’est pour répondre à ce type de problématiques, dans la continuité du colloque accueilli par le Parlement au printemps dernier que j’évoquais à l’instant, mais aussi de l’initiative du Sénat créant une mission pour le redressement de la justice, qu’une réflexion animée par le professeur Michel Bouvier s’est engagée à la Cour de cassation sur le financement et la gestion budgétaire de la justice en vue de contribuer au débat d’intérêt général sur ce thème ». Le modèle visé s’inspire des exemples étrangers. Il s’agirait d’instituer un CSM aux pouvoirs élargis qui aurait la charge des nominations et de la discipline, mais aussi la formation et la gestion du budget de l’institution. Une demande appuyée par Jean-Claude Marin qui a évoqué la nécessité d’une ambitieuse réforme : « Certes, des mesures de rattrapage ont été ponctuellement décidées, notamment aux plans financiers et d’organisation du travail (…), mais le handicap est tellement lourd, la conjoncture si mauvaise, l’inscription de la volonté politique dans la durée si aléatoire, que ces apports risquent de se diluer dans l’océan des difficultés. Sans réforme ambitieuse de structures, telle notamment une grande réforme de la carte judiciaire des cours d’appel, tout effort matériel ne pourra qu’apparaître comme un saupoudrage et générer des insatisfactions. Seul un véritable plan pluriannuel peut remettre notre pays au rang qu’il n’aurait jamais dû céder de référence en matière de justice et notamment de justice judiciaire ». Il reste que toutes ces attentes, énoncées solennellement lors du colloque organisé au Sénat, n’ont débouché pour l’instant que sur une fin de non-recevoir de la part des politiques. À croire que la vieille peur des parlements d’Ancien Régime continue d’imprégner la réflexion française autour de la place et de l’organisation de l’institution. Et qu’importe si cette justice en haillons, loin d’être une référence, est en passe de devenir ce qu’il faut bien appeler une honte française…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Dans leur livre Un président ne devrait pas dire ça (Stock, 2016), les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme rapportent que le chef de l’État leur aurait confié à propos de la justice : « Cette institution, qui est une institution de lâcheté… Parce que c’est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux… On n’aime pas le politique ». Cette révélation a déclenché un tollé en octobre dernier.
  • 2.
    Rapport du groupe de travail relatif à la protection des magistrats, remis au garde des Sceaux le 28 juin 2016. En ligne sur le site du ministère de la Justice.
  • 3.
    Cass. crim., 16 déc. 2016, n° 08-86295, PB.