Tribunal de Meaux : « Je prête allégeance à Allah, et je vais décapiter un policier ! »

Publié le 31/10/2024 à 15h57

Connu de la justice « sous 13 à 15 alias », Mohamed dit être né en Libye. « Je suis arrivé en France quand Jacques Chirac était Président », précise le prévenu pour démontrer, à sa manière, qu’il est solidement enraciné en région parisienne. Durant son ultime rétention administrative, il a menacé d’égorger un fonctionnaire. Il nie, et il n’y a plus de témoin.

Salle d’audience au Tribunal judiciaire de Meaux (Photo : I. Horlans)

Ce 2 octobre, la juge des libertés et de la détention (JLD) l’avait « énervé ». Et, avant elle, les agents de la PAF, la police aux frontières, qui lui avaient refusé l’accès à l’avion reliant Paris à Alger au motif qu’il détenait un faux passeport. « Je l’avais acheté car je n’ai pas de papiers d’identité », explique Mohamed en chambre des comparutions immédiates à Meaux. Pour acquérir le billet, l’homme de 34 ans a consacré ses maigres économies. Alors, forcément, il a mal vécu qu’on le sépare de sa conjointe et de leurs deux jeunes enfants qui, eux, sont partis en Algérie. Quand la PAF l’a conduit au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot pour être présenté à la JLD, il a vu rouge.

La suite est racontée par le plaignant, Ali*, policier au CRA.

« Quand je serai libre, je reviendrai avec deux couteaux »

Plus exactement par la présidente Cécile Lemoine car Ali est absent et n’a pas mandaté d’avocat. Elle lit le procès-verbal, enregistré le 25 octobre : 23 jours se sont écoulés entre « l’outrage », chef de prévention retenu contre Mohamed, et l’audition de la victime d’une infraction qui s’apparente peu ou prou à des menaces de mort. Étrange anomalie.

Donc, ce mercredi 2, Mohamed est furieux. Ali le pousse dans une cellule ; premier juron en langue arabe : « Va niquer ta mère », dit le Libyen, qui ne dément pas. « Il m’avait d’abord insulté », traduit l’interprète dont l’oreille gauche est collée au Plexiglas du box que partagent Mohamed et l’escorte. Le passage devant la JLD est houleux, elle lui confirme qu’il va – encore – être retenu au CRA. C’est la septième fois qu’il y est enfermé pendant trois mois. Il refuse de signer l’ordonnance.

Cécile Lemoine : « À ce moment-là, vous auriez crié : “Je prête allégeance à la religion musulmane, à Allah, et je vais décapiter un policier. Quand je serai libre, je reviendrai avec deux couteaux.” Vous mimez d’une main un égorgement.

– C’est faux ! Je n’aurais eu aucun intérêt à tenir ce genre de propos envers la police. J’ai peut-être été désobligeant pour la juge, c’est tout.

– Le fonctionnaire du CRA parle arabe et assure avoir bien compris. Vous auriez d’ailleurs répété ces mots. Il vous décrit, je cite, comme “un salafiste parce que vous avez une barbe sans moustache”. »

Les barbus sans moustache courent les rues ; tous ne sont pas salafistes.

« C’est un menteur ! Devant le Président, je dirais la même chose »

 Le petit bonhomme s’agite, jure ne pas être « un terroriste », pas plus qu’il ne se revendique de l’islam sunnite. Une confrontation a été organisée, ils ont campé sur leur position respective. « Le policier un menteur ! Devant le président de la République, je dirais la même chose », riposte-t-il par la voix de la traductrice. Comprendre ainsi l’allusion à Emmanuel Macron : personne n’impressionne Mohamed, encore moins « un policier arabe » – comme il désigne Ali. Excepté les gros mots à l’adresse de la mère, il n’y a pas eu d’allusion à « une décapitation ».

Le plaignant a fourni deux noms de témoins, depuis assignés à résidence loin de Meaux. Ils n’ont pas été entendus. Autre anomalie. Quant à la JLD, elle ne comprend pas l’arabe.

La juge se penche désormais sur la personnalité du comparant. Une triste plongée dans les abysses de la misère humaine. En séjour irrégulier depuis 19 ans, Mohamed a vivoté grâce à « des atteintes aux biens ». Dix mentions à son casier judiciaire, « 13 à 15 alias », plusieurs incarcérations, rétentions, un suivi par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, six mois de sursis pendants, deux précédentes affaires d’outrage et menace envers la police. Une compagne boulangère, deux enfants nés de leur union.

Et, surtout, une situation totalement inextricable.

« Personne ne me reconnaît, personne ne veut m’accepter »

 « J’ai effectué plein de démarches, j’ai demandé des titres de séjour, on ne me les a pas accordés. J’ai compris que mon maintien ici était compromis, j’ai contacté les consulats de Libye, de Tunisie, d’Algérie et d’Égypte pour trouver une terre d’accueil », développe-t-il.

La présidente : « Je ne comprends pas. Vous êtes pourtant libyen ?

– Oui, mais je n’ai jamais eu de papiers car mes parents étaient étrangers. La Libye ne veut pas de moi. Personne ne me reconnaît, personne ne veut m’accepter. Du coup, j’ai acheté un faux passeport pour suivre ma femme algérienne, malade, qui voulait rentrer au pays. »

En aparté, son avocate commise d’office, Me Clothilde Brémond, confie la détresse de Mohamed, apatride, irrégulier en France, indésirable partout. Impossible d’obtenir un laisser-passer consulaire. Il poursuit : « Je voulais l’accompagner, j’ai peur que les enfants se retrouvent seuls si elle meurt. » La boulangère souffre d’un cancer.

La procureure Léa Dreyfus estime que le policier « n’avait aucune raison de lui imputer de tels propos ». Elle le croit. Et comme le prévenu n’offre pas de garanties, elle requiert cinq mois de prison. Il réintégrera ensuite le CRA. Quadrature du cercle.

En défense, Me Brémond insiste sur l’absence de preuve : « Je n’ai qu’une certitude : mon client est usé. » Il a la parole : « Je suis sincèrement désolé. Je m’excuse auprès de l’agent pour l’insulte. Je veux revoir ma femme. »

Le doute profite à Mohamed, il est relaxé. Ses yeux, de petites billes noires, roulent en tous sens, se posent sur l’avocate, les magistrats, l’interprète, la greffière. « Je retourne au CRA ? » La présidente et la procureure : « Nous n’avons pas les éléments administratifs de votre dossier. Pour nous, vous êtes libre. » Mohamed est éberlué. Perdu. Va-t-il devoir à nouveau errer d’une ambassade à l’autre ? Son conseil n’a pas de solution. À part peut-être chercher à distance ses parents jusqu’alors introuvables dans la Libye disloquée, pour récupérer son certificat de naissance.

 

* Prénom modifié

 

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