Tribunal de Meaux : L’entreprise de bâtiment aux 344 salariés n’en déclarait que 72
Ouvert en 2019, le dossier de travail dissimulé, concernant 272 salariés « au noir », a fait l’objet d’une longue enquête, puis de deux procès dont un devant la Cour d’appel de Paris où Idrees ne s’est pas présenté. Alors, forcément, il dit ne plus se souvenir des faits. Plusieurs de ses ouvriers, non déclarés, assistent à l’audience au tribunal de Meaux pour rafraîchir sa mémoire.
Le sigle DPAE ne semble pas lui « parler ». Aussi, la présidente Florentin-Dombre précise-t-elle qu’il s’agit de la déclaration préalable à l’embauche, formulaire obligatoire que l’employeur adresse à l’Urssaf s’il fait travailler quelqu’un. L’interprète traduit au prévenu pakistanais les explications de la juge. Son procès a été renvoyé à ce 12 novembre au motif qu’Idrees, 50 ans, ne comprend pas le français (son avocat avait assuré le contraire avant la convocation initiale). Qu’importe, finalement. Au regard de précédentes assignations à comparaître, non honorées, il apparaît que l’ex-patron de la SAS Techni Bat de Noisiel (Seine-et-Marne) espérait échapper à la justice. En liquidation judiciaire depuis 2020, la société de construction est la cible d’une procédure collective.
Pour sa défense, Idrees explique avoir cédé ses parts à son associé, Hamza, « le fils d’un ami », le 18 février 2019 : « À partir de cette date, c’était lui le gérant. Je n’étais pas au courant de ce qu’il faisait », complète-t-il avec une certaine légèreté car le délit de travail dissimulé reproché concerne aussi la période de sa présidence. Le 22 mai dernier, il a d’ailleurs été condamné par défaut, à Paris, à deux ans de prison dont un avec sursis, à une amende de 10 000 €, à l’interdiction définitive de diriger une entreprise.
« Lorsque vous êtes contrôlé, il y a 58 logements en construction »
À l’audience correctionnelle, où il paraît enfin, il a donc perdu la mémoire. En particulier du contrôle du Codaf de Rouen, instance chargée de la lutte anti-fraude, dont le travail illégal. Quand les agents visitent le chantier en Seine-Maritime que pilote Techni Bat, en avril 2019, ils constatent que tous les salariés « ne sont pas déclarés ». Idrees : « Mon associé s’en occupait. » La présidente : « Il avait des compétences ?
– Il parlait français. Et il n’y avait pas beaucoup de travail…
– Lorsque vous êtes contrôlé, il y a 58 logements en construction !
– Je ne sais pas. J’avais des problèmes personnels.
– Mais vous aviez ouvert les comptes bancaires de l’entreprise ?
– Oui.
– L’exploitation des données a révélé que 344 personnes sont destinataires de sommes assimilables à des salaires, par chèques ou par virements, alors que 72 seulement étaient déclarées.
– Je ne sais pas.
– Vous aviez procuration sur les comptes après avoir vendu vos parts ?
– Oui.
– Que faisiez-vous après votre démission de la présidence ?
– J’étais électricien chez Techni Bat. Mais j’avais cédé mes parts ! »
Idrees était donc employé de son associé, disposait des relevés bancaires : impossible de prétendre qu’il n’était pas informé des activités de la société.
Derrière le prévenu, se tiennent sept des dix ouvriers qui se sont constitués parties civiles. Ils n’ont pas eu droit au chômage, sollicitent des dommages et intérêts.
Le préjudice initial de l’Urssaf évalué à 1,6 million d’euros
Pressentant qu’il a perdu en crédibilité, le prévenu accuse sa secrétaire qui « n’a pas fait suivre les déclarations à l’embauche que j’ai faites ». Il insiste encore sur ses « problèmes de vie ». Commercial, il a été licencié 13 jours avant l’audience.
À la barre, la représentante de l’Urssaf chiffre à 1 624 594 euros « le préjudice initial ». Elle a calculé « au prorata » ce que doit Idrees : 491 163 euros. Le solde a été réclamé à Hamza.
Le procureur Alexandre Verney a du mal à croire en ses explications. « Sur 344 personnes rémunérées, entreprend-il de résumer, 193 sont identifiées, et moins de la moitié déclarées. » En l’occurrence 72, soit 272 employés au black. « Et il se dédouane en disant que sur sa période de gérance, tout se serait bien passé quand les éléments assurent du contraire ? » Préoccupé par la fraude, le représentant de la société veut « que le message soit passé clairement : il y a nécessité de dissuader. Cette audience doit servir à cela ! Surtout dans le BTP ». Le bâtiment est en effet le secteur qui abuse le plus du travail illégal, avec les risques que cela induit lorsque se produisent des accidents, non couverts par les assurances.
M. Verney requiert 24 mois avec sursis probatoire de deux ans, l’obligation d’indemniser les ouvriers, l’interdiction de gérer durant 15 ans et 10 000 € d’amende. Avec exécution provisoire.
Le défenseur plaide « la relaxe au bénéfice du doute car, en droit pénal, on n’est responsable que de son propre fait ». Il estime que l’Urssaf aurait dû « déterminer précisément » le montant de la fraude imputée à Idrees.
Le tribunal souscrit à cet argument : l’administration reverra sa copie d’ici à l’audience sur intérêts civils, en janvier. Charge à elle de reconstituer les sommes dues à partir des relevés bancaires, de lister chaque chèque signé, chaque virement ordonné par Idrees. En revanche, pas de relaxe. La peine est réduite d’un an avec sursis probatoire de deux ans, l’indemnisation est accordée aux victimes, l’interdiction de gérer fixée à dix ans, l’amende de 10 000 € infligée pour moitié avec sursis. Avec exécution provisoire : il ne gagnera plus de temps en interjetant appel.
Référence : AJU482654