Un cygne fort à Bastille
Dorothée Gilbert, dans le rôle d’Odette, la grâce incarnée.
Julien Benhamou
2019 sera-t-elle une année remarquable pour l’Opéra de Paris ? Cette année s’inscrit en effet dans une double actualité : les 350 ans du premier opéra permanent au monde, l’Académie royale de musique, créée par Louis XIV en 1669, mais également les 30 ans de l’Opéra Bastille. On sait que des rumeurs circulent sur une crise actuelle au sein de l’institution, toutefois la direction a décidé de balayer d’un revers de main ces rumeurs pour célébrer ce « double anniversaire ».
Place donc aux festivités, lancées par un grand gala ; c’est tout au long de l’année que l’Opéra souhaite célébrer la danse et l’art lyrique. La programmation se veut donc exceptionnelle ! En danse, retour aux sources, avec le ballet le plus joué sur les plateaux du monde entier : Le Lac des cygnes…
Ce ballet est mythique, notamment car sa création connut une histoire chaotique. Composé par Tchaikovski en 1877 pour le Bolchoï, la composition du chorégraphe Julius Wenzel Reisinger fut jugée médiocre et l’œuvre connut un échec tant critique que public. Ce n’est qu’en 1895, quand Marius Petipa et son assistant, Lev Ivanof, créèrent une nouvelle chorégraphie – qui sera révisée elle-même par Tchaikovski, qui malheureusement ne verra pas de son vivant l’œuvre finie – que le succès arrive. Le ballet devient alors mythique, repris par de nombreux chorégraphes à travers le monde.
Le Lac des cygnes est une histoire universelle qui conte les amours impossibles entre le prince Siegfried et la mystérieuse princesse Odette. Cette histoire relève tout autant de la mythologie grecque, que du romantisme, qu’aux folklores nordiques, celtiques ou russes…
C’est la version créée par Rudolf Noureev, à son entrée à l’Opéra de Paris, en 1984, qui se danse actuellement à l’Opéra Bastille.
Cette version se veut plus « freudienne ». En effet, Noureev a tenu à revaloriser les rôles masculins du prince Siegfried, de Wolfgang (le précepteur), et de Rothbart, tout en apportant une profondeur psychologique aux personnages. Les décors, réalisés par Ezio Frigerio, participent au caractère angoissant du ballet, et la référence à Claude Monet, pour les toiles peintes, est évidente.
Sur scène, on découvre les deux rôles principaux masculins dans de très belles chorégraphies. Ce soir-là, le talentueux danseur étoile, Hugo Marchand, jouait le rôle du prince Siegfried, et Thomas Docquir endossait la double cape de Wolfgang et Rothbart.
Mais c’est la danseuse étoile, Dorothée Gilbert, qui survole en Odette/Odile, cygne blanc/cygne noir. Sa prestation est majestueuse, et la longueur de ses bras ondoie tout en finesse dans des mouvements d’une grâce infinie…
La direction musicale de l’orchestre de l’Opéra de Paris, confiée à Valery Ovsyanikov, interprète majestueusement la musique de Tchaikovski.
Le public ne s’y trompe pas, et la standing ovation à la fin de la représentation n’est qu’une juste récompense, aussi bien pour les danseurs du corps de ballet que pour les étoiles.
Car ce ballet est également mythique pour la performance que cela implique chez tous les danseurs, les corps soumis à rude épreuve expriment la délicatesse et la perfection du geste.
Une représentation légendaire, qui relève de la féerie. Cela augure d’une année 2019 sous les meilleurs auspices, de quoi faire taire toutes les rumeurs !